Arbitrage devant le bâtonnier : compétence et respect du contradictoire


Rédigé par Justine Touzet le Mercredi 25 Octobre 2017

Par son arrêt du 5 juillet 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation précise les contours de la compétence du bâtonnier en estimant que, dans le cadre d’un différend entre avocats, c'est le Président du Tribunal de Grande Instance, et non pas le bâtonnier, qui est compétent pour ordonner une mesure d’instruction in futurum sur requête.



En l’espèce, un cabinet d’avocats, ayant mis fin au contrat de son collaborateur, lui reprochait d’avoir dupliqué le fichier clients du cabinet pour adresser auxdits clients un email les informant de ses nouvelles coordonnées et de son départ. Le cabinet a donc saisi le Président du Tribunal de Grande Instance d’une requête à fin de constat sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. La demande a été accueillie, le constat dressé et la demande en rétractation du collaborateur rejetée jusqu’en appel.
 
La compétence des tribunaux arbitraux d’ordonner toute mesure provisoire et conservatoire qu’ils jugent opportune est largement établie [[1]] . Cette faculté est également reconnue dans le cadre de l’arbitrage des différends entre avocats devant le bâtonnier. En effet, l’article 148 du décret du 27 novembre 1991 prévoit que le bâtonnier est compétent pour statuer à bref délai. En cas d’urgence, il peut ordonner « toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ». Hors cas d’urgence, il peut accorder une provision. Et, même en cas de contestation sérieuse, le bâtonnier est compétent pour « ordonner les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite » [[2]] .
 
Malgré tout, la Cour de cassation, le 5 juillet dernier, a retenu que : « L’article 148 du décret de 1991 selon lequel, en cas de mesure d’urgence sollicitée par l’une des parties, le bâtonnier peut être saisi à bref délai, ne prévoit pas que celui-ci puisse être saisi par requête lorsque les circonstances exigent que la décision ne soit pas prise contradictoirement ; que la cour d’appel a exactement décidé que le président du tribunal de grande instance, juridiction de droit commun, était compétent pour ordonner une mesure d’instruction, avant tout litige, dans les conditions prévues aux articles 145 et 812 du code de procédure civile. »
 
Force est de constater que cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’arbitrage. En effet, si la compétence des arbitres pour ordonner des mesures provisoires et conservatoires est exclusive de celle des tribunaux étatiques lorsque le tribunal arbitral a déjà été constitué [[3]] , tant que celui-ci ne l’est pas [[4]] , les deux coexistent sauf dans le cadre de l’article 812 du Code de procédure civile. C’est alors le Président du Tribunal de Grande Instance qui a une compétence exclusive. Cet arrêt vient donc confirmer que l’arbitrage devant le bâtonnier suivra le même traitement : les arbitres comme le bâtonnier ne sont pas autorisés à échapper au débat contradictoire. Seul le Président du tribunal est habilité par l'effet de la loi à décider non contradictoirement lorsque les circonstances l’exigent.

Cour de cassation, Chambre civile 1, 5 juillet 2017, n°16-19.825
 
 
[[1]] Article 1468 du code de procédure civile.
[[2]] Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, Section IV, Article 148.
[[3]] TGI Paris, 10 juin 1982 : Rev. arb. 1983, p. 182.
[[4]] Cass. 1re civ., 6 déc. 2005 : JCP E 2005, p. 344, note G. Chabot ; RTD. com. 2006, p. 297, obs. Loquin







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