Incroyable : l’avocat bénéficie désormais des dispositions de l’article L.441-6 du Code de commerce !


Rédigé par Philippe Touzet et Tommaso Cigaina le Jeudi 10 Janvier 2019

Le Bâtonnier de Paris vient d’admettre, pour la première fois, que l’avocat a droit au remboursement de ses frais forfaitaires de recouvrement, exposés pour obtenir le règlement de ses honoraires, dans la foulée d’un récent revirement de la Cour de cassation.



Dans un précédent article, nous commentions la jurisprudence jusqu’alors constante qui exclut l’application de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce à la rupture brutale des relations entretenues entre l’avocat et un client ayant la qualité de commerçant.

En particulier, alors que l’article L.442-6-I-5° doit s’appliquer quel que soit le statut de la victime ou la nature de l’activité exercée par celle-ci (Cass. Com. 16 déc. 2008, n°07-18.050 et 6 fév. 2007, n°03-20.463), l’arrêt de la Cour d’appel de Paris que nous commentions (29 juin 2016 n°14/07291) excluait l’application de cette disposition en raison de l’interdiction faite aux avocats d’exercer une activité commerciale, en application de l’article 1.1 du RIN et de l’article 111 du décret du 27 novembre 1991.

Dans ce même article, et du fait de l’adoption du décret n° 2016-882 du 29 juin 2016 qui autorise les avocats à pratiquer des activités commerciales « présentant un lien de connexité avec celle de leur profession », nous pensions que  « … la nouvelle autorisation de la loi devrait entraîner une modification de la position de la jurisprudence, et permettre aux avocats d’obtenir la réparation des ruptures brutales de relations courantes d’affaires dont ils sont victimes – et auteurs - constituant ainsi un nouvel élément de l’assimilation du cabinet d’avocats à une entreprise ».

C’est ainsi qu’un arrêt de la 2ème Chambre civile de la Cour de Cassation, rendu le 3 mai 2018 (n°17-11.926), a admis pour la première fois au bénéfice de notre profession, non pas l’application de l’article L.442-6-I-5°, mais celle de l’article L.441-6, en jugeant que l’avocat a droit au remboursement des frais forfaitaires de recouvrement, exposés pour obtenir le règlement de ses honoraires, et que l’octroi de cette indemnité relève de la compétence d’attribution exclusive du bâtonnier taxateur.

Munis de cette jurisprudence, nous n’avons pas manqué de réclamer sa mise en œuvre dans les procédures dont nous sommes saisis, devant le bâtonnier, en application des dispositions des articles 174 et suivants du décret, en matière de fixation des honoraires.

C’est ainsi que par décision en date du 8 novembre 2018 (non publiée), le bâtonnier de Paris a admis pour la première fois la mise en œuvre de ce texte et a condamné le client à payer l’indemnité forfaitaire de recouvrement à l’égard des deux cabinets demandeurs.

On tirera de ces décisions deux enseignements (1 et 2), et deux déductions (3 et 4) :

1. La Cour de cassation précise d’abord qu’en application de l’article L.441-6 du Code de commerce « tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l’égard du créancier prestataire de services, d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé à la somme de 40 euros [par l’article D.441-5 du même code ; ndlr] » : l’avocat bénéficie donc de cette disposition en tant que « créancier prestataire de services » à l’encontre de « tout professionnel », ce que valide désormais le barreau de Paris.

2. La Cour de cassation censure ensuite le Premier président qui s’était déclaré incompétent pour statuer sur cette réclamation : « attendu que pour rejeter la demande en paiement d’une indemnité forfaitaire de 40 euros par dossier formée par l’avocat à l’encontre de son client, société commerciale (…), l’ordonnance retient que le contentieux des honoraires d’avocat se distingue des actions en responsabilité civile engagées par le client, qui relèvent, quant à elles, des règles de procédure de droit commun. Qu’en statuant ainsi, alors que l’avocat, prestataire de services, relève des dispositions susvisées, le premier président, qui s’est prononcé par des motifs inopérants, a violé par refus d’application les textes susvisés » (Cass. Civ. 2ème, 3 mai 2018, n°17-11.926).

3. L’indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 € par facture n’est certes pas une somme très importante, et cela ne paraît pas motivant. Mais c’est une erreur car au-delà de l’indemnité forfaitaire, le créancier a droit depuis 2012 au remboursement de la totalité de ses frais de recouvrement, sans appréciation d’équité par le juge, c’est-à-dire que l’article  L.441-6 se substitue à l’article 700 du Code de procédure civile.

Nous militons depuis six ans pour l’application de ce texte dans nos dossiers commerciaux, car les habitudes sont difficiles à perdre, bien que ce texte soit d’ordre public.

Nous nous permettons, à cet égard, de vous renvoyer à notre analyse des récentes décisions rendues en la matière (1 et 2) , montrant que le juge français applique enfin ces dispositions et accordent de plus en plus souvent au créancier le remboursement intégral des frais exposés à l’occasion d’un recouvrement de créances professionnelles, y compris les honoraires d’avocat dans leur totalité, qu’il s’agisse d’honoraires forfaitaires ou de succès.


Même si en l’espèce, le bâtonnier, sans doute hésitant, a refusé d’accorder le remboursement des frais réels de recouvrement (pour n’accepter que l’indemnité forfaitaire de 40 €), la porte est grande ouverte, et il ne fait aucun doute qu’à terme, le combat continuant, il sera possible d’obtenir à l’encontre de nos clients mauvais payeurs le remboursement intégral des honoraires de recouvrement et plus généralement des coûts du recouvrement si par exemple il est fait en interne.

4. Enfin, si la Cour de cassation admet l’application des dispositions de l’article L.441-6 du Code de commerce aux avocats, ne peut-on pas en déduire que prochainement, l’article L.442-6-I-5° en matière de rupture abusive des relations courantes d’affaires sera également applicable à notre profession ?

De là à penser que nous pourrions prochainement bénéficier de toutes dispositions protectrices du code de commerce, il n’y a qu’un pas. Nous suivrons évidemment cette évolution de très près.

A cet égard, on signalera que quelques semaines avant la décision de la Cour de cassation du 3 mai 2018, le 12 avril, le TGI de Nanterre, sur la demande d’une SELARL d’avocats dessaisie par son client avec un préavis de seulement 48 heures après sept années de relations, a confirmé la jurisprudence antérieure considérant l’article L.442-6 inapplicable aux avocats.

La décision de Nanterre est cependant intéressante. Elle marque une évolution dès lors qu’elle accepter d’accorder à l’avocat un préavis (un mois en l’espèce) sur le fondement des dispositions du mandat civil, dont la rupture par le client a été jugée intempestive et abusive.

La question demeure donc ouverte quant à l’application de l’article 442-6 du Code du commerce. Mais dès lors que la mise en œuvre de l’article L.441-6 du même code  est admise par la cour de cassation, le revirement devrait logiquement suivre en ce qui concerne le premier de ces textes.

Voilà pour 2019 quelques perspectives d’amélioration du régime juridique applicable à notre exercice professionnel, étant rappelé qu’il en a bien besoin ! A ce stade, en matière de recouvrement, nous sommes sans doute, cordonniers ou pas, extrêmement mal chaussés, avec une procédure de fixation d’honoraires ne permettant ni référé ni exécution provisoire.


 







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