A l’occasion d’un litige portant sur la rupture du contrat d’une avocate salariée, la Cour d’appel de Poitiers a eu à juger de la recevabilité des demandes formées à l’encontre d’une AARPI, cette dernière étant partie à la procédure en son nom propre au lieu d’être représentée par ses associés.
Contredisant le Bâtonnier, qui avait jugé en première instance qu’une AARPI, dépourvue de personnalité morale, ne peut ester ni être poursuivie en justice, la Cour poitevine considère que cette association d’avocats jouit de la « personnalité civile » et qu’elle peut par conséquent « défendre à l’action de Me X, qui est donc recevable à son endroit, et elle est susceptible de succomber à une condamnation qui serait exécutable à son encontre ».
Il s’agit d’un arrêt en totale contradiction avec la jurisprudence constante qui juge que – à l’instar des sociétés en participation et des sociétés créés de fait[[1]] – une AARPI n’a pas qualité pour ester en justice[[2]] .
Pour parvenir à cette étonnante conclusion, en premier lieu, la Cour de Poitiers rappelle que l’AARPI est « une société de fait qui n’étant pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés, ne dispose pas de la personnalité morale », comme le confirme l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971.
En second lieu, pour déduire que l’AARPI « possède donc la personnalité civile qui lui permet d’ester en justice », la Cour retient successivement que :
une AARPI, « tire de l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 la faculté d’avoir un avocat pour salarié ou collaborateur, et de son article 8, in fine, celle de postuler en justice, par le ministère d’un avocat » ; qu’en l’espèce, le contrat de travail litigieux avait été transféré à l’AARPI ; que l’AARPI avait établi une fiche de mission pour l’avocate-salariée, ainsi que ses feuilles de paie où elle s’y désignait comme employeur ; que l’AARPI disposait d’un numéro propre d’immatriculation auprès de l’URSSAF ; que l’AARPI, se défendant « sous son nom » au lieu d’y être représentée par ses associés, avait comparu à l’instance et notifié des conclusions dans lesquelles elle émettait des prétentions.
Une telle motivation, à notre sens, se fonde sur une insuffisante compréhension du régime de l’AARPI, qu’il convient d’expliciter.
Outre les dispositions de la loi de 1971 rappelées par la Cour de Poitiers, en effet, l’AARPI est notamment régie par :
les articles 1871 à 1973 du Code civil, relatifs aux sociétés en participation et aux sociétés créées de fait les articles 124 à 128-1 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, spécifiques aux associations d’avocats
A cet égard, l’article 1871 du Code civil confirme que l’AARPI – qualifiée de société créée de fait – « n’est pas une personne morale » ; l’article 1872 précise que « à l’égard des tiers, chaque associé reste propriétaire des biens qu’il met à la disposition de la société » ; enfin, l’article 1872-1 ajoute que « si les participants agissent en qualité d’associés au vu et au su des tiers, chacun d’eux est tenu à l’égard de ceux-ci des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l’un des autres ».
S’agissant de l’article 124 du décret, il confirme que « chacun des membres de l'association est tenu des actes accomplis par l'un d'entre eux, au nom de l'association, à proportion de ses droits dans l'association » et que « chacun des membres de l'association répond, en outre, sur l'ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu'il accomplit à l'égard de ses clients ».
Il ressort de ces dispositions, outre l’absence de personnalité morale, que l’AARPI ne dispose pas d’un patrimoine social propre et ne peut pas être créancière ou débitrice d’obligations, puisque celles-ci pèsent sur ses associés : lorsque le gérant d’une AARPI contracte au nom de celle-ci, il le fait en réalité en qualité de mandataire commun des associés et doit pouvoir justifier de sa qualité à les engager.
Ce n’est qu’en matière fiscale que l’AARPI est réputée posséder un patrimoine distinct de celui des associés et se voit reconnaître une personnalité fiscale qui lui est propre : l’AARPI doit donc effectuer des déclarations fiscales indépendantes de celles effectuées par ses associés.
Il est vrai, cependant, qu’en pratique cette distinction peut paraître moins nette – ce qui explique à nos yeux que la Cour d’appel de Poitiers ait pu se méprendre dans son appréciation :
si l’AARPI est tenue de se déclarer auprès de l’URSSAF pour obtenir un numéro de SIRET et déclarer l’emploi de salariés, ce sont les associés qui ont la qualité d’employeur et non l’association (CA Paris 5 déc. 2017 n°14/07921). Il en va de même pour les contrats de collaboration des avocats collaborateurs travaillant au sein de l’AARPI ; au plan comptable, c’est l’AARPI qui règle les charges et procède à l’encaissement des factures, qui sont émises en son nom et non à celui des associés ; si sa dénomination peut apparaître sur les instruments de paiement, une AARPI ne peut pas être titulaire d’un compte bancaire : les comptes ouverts pour son fonctionnement sont juridiquement des comptes joints ouverts au nom des associés ; bien qu’elle soit souvent identifiée en tant que « locataire » dans les contrats de bail, l’AARPI ne peut être titulaire du bail de locaux dans lesquels ses associés exercent la profession : le bail est en effet conclu par ces derniers ; enfin, si en vertu de l’article 8 de loi de 1971 « L'association (…) peut postuler (…) par le ministère d'un avocat inscrit au barreau établi près l'un de ces tribunaux », la constitution d’avocat doit être faite au nom d’un de ses associés : l’indication d’une association d’avocats comme postulant sans indication du nom d’un avocat personne physique constitue en effet un vice de forme de l’acte (Civ. 2ème 30 avril 2009 n°08-16.236)
En conclusion, une AARPI ne dispose pas d’une véritable personnalité juridique distincte de celle de ses associés et nous pensons que l’arrêt du 28 janvier 2020 de la Cour d’appel de Poitiers – dont nous ignorons s’il a fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation – demeurera isolé.
Nous signalons, à cet égard, un arrêt rendu le 5 mars 2020 par la Cour d’appel de Paris[[3]] qui confirme la jurisprudence antérieure, selon laquelle une AARPI n’a pas qualité pour ester en justice et ne peut exercer de recours en son nom.
Contredisant le Bâtonnier, qui avait jugé en première instance qu’une AARPI, dépourvue de personnalité morale, ne peut ester ni être poursuivie en justice, la Cour poitevine considère que cette association d’avocats jouit de la « personnalité civile » et qu’elle peut par conséquent « défendre à l’action de Me X, qui est donc recevable à son endroit, et elle est susceptible de succomber à une condamnation qui serait exécutable à son encontre ».
Il s’agit d’un arrêt en totale contradiction avec la jurisprudence constante qui juge que – à l’instar des sociétés en participation et des sociétés créés de fait[[1]] – une AARPI n’a pas qualité pour ester en justice[[2]] .
Pour parvenir à cette étonnante conclusion, en premier lieu, la Cour de Poitiers rappelle que l’AARPI est « une société de fait qui n’étant pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés, ne dispose pas de la personnalité morale », comme le confirme l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971.
En second lieu, pour déduire que l’AARPI « possède donc la personnalité civile qui lui permet d’ester en justice », la Cour retient successivement que :
une AARPI, « tire de l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 la faculté d’avoir un avocat pour salarié ou collaborateur, et de son article 8, in fine, celle de postuler en justice, par le ministère d’un avocat » ; qu’en l’espèce, le contrat de travail litigieux avait été transféré à l’AARPI ; que l’AARPI avait établi une fiche de mission pour l’avocate-salariée, ainsi que ses feuilles de paie où elle s’y désignait comme employeur ; que l’AARPI disposait d’un numéro propre d’immatriculation auprès de l’URSSAF ; que l’AARPI, se défendant « sous son nom » au lieu d’y être représentée par ses associés, avait comparu à l’instance et notifié des conclusions dans lesquelles elle émettait des prétentions.
Une telle motivation, à notre sens, se fonde sur une insuffisante compréhension du régime de l’AARPI, qu’il convient d’expliciter.
Outre les dispositions de la loi de 1971 rappelées par la Cour de Poitiers, en effet, l’AARPI est notamment régie par :
les articles 1871 à 1973 du Code civil, relatifs aux sociétés en participation et aux sociétés créées de fait les articles 124 à 128-1 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, spécifiques aux associations d’avocats
A cet égard, l’article 1871 du Code civil confirme que l’AARPI – qualifiée de société créée de fait – « n’est pas une personne morale » ; l’article 1872 précise que « à l’égard des tiers, chaque associé reste propriétaire des biens qu’il met à la disposition de la société » ; enfin, l’article 1872-1 ajoute que « si les participants agissent en qualité d’associés au vu et au su des tiers, chacun d’eux est tenu à l’égard de ceux-ci des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l’un des autres ».
S’agissant de l’article 124 du décret, il confirme que « chacun des membres de l'association est tenu des actes accomplis par l'un d'entre eux, au nom de l'association, à proportion de ses droits dans l'association » et que « chacun des membres de l'association répond, en outre, sur l'ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu'il accomplit à l'égard de ses clients ».
Il ressort de ces dispositions, outre l’absence de personnalité morale, que l’AARPI ne dispose pas d’un patrimoine social propre et ne peut pas être créancière ou débitrice d’obligations, puisque celles-ci pèsent sur ses associés : lorsque le gérant d’une AARPI contracte au nom de celle-ci, il le fait en réalité en qualité de mandataire commun des associés et doit pouvoir justifier de sa qualité à les engager.
Ce n’est qu’en matière fiscale que l’AARPI est réputée posséder un patrimoine distinct de celui des associés et se voit reconnaître une personnalité fiscale qui lui est propre : l’AARPI doit donc effectuer des déclarations fiscales indépendantes de celles effectuées par ses associés.
Il est vrai, cependant, qu’en pratique cette distinction peut paraître moins nette – ce qui explique à nos yeux que la Cour d’appel de Poitiers ait pu se méprendre dans son appréciation :
si l’AARPI est tenue de se déclarer auprès de l’URSSAF pour obtenir un numéro de SIRET et déclarer l’emploi de salariés, ce sont les associés qui ont la qualité d’employeur et non l’association (CA Paris 5 déc. 2017 n°14/07921). Il en va de même pour les contrats de collaboration des avocats collaborateurs travaillant au sein de l’AARPI ; au plan comptable, c’est l’AARPI qui règle les charges et procède à l’encaissement des factures, qui sont émises en son nom et non à celui des associés ; si sa dénomination peut apparaître sur les instruments de paiement, une AARPI ne peut pas être titulaire d’un compte bancaire : les comptes ouverts pour son fonctionnement sont juridiquement des comptes joints ouverts au nom des associés ; bien qu’elle soit souvent identifiée en tant que « locataire » dans les contrats de bail, l’AARPI ne peut être titulaire du bail de locaux dans lesquels ses associés exercent la profession : le bail est en effet conclu par ces derniers ; enfin, si en vertu de l’article 8 de loi de 1971 « L'association (…) peut postuler (…) par le ministère d'un avocat inscrit au barreau établi près l'un de ces tribunaux », la constitution d’avocat doit être faite au nom d’un de ses associés : l’indication d’une association d’avocats comme postulant sans indication du nom d’un avocat personne physique constitue en effet un vice de forme de l’acte (Civ. 2ème 30 avril 2009 n°08-16.236)
En conclusion, une AARPI ne dispose pas d’une véritable personnalité juridique distincte de celle de ses associés et nous pensons que l’arrêt du 28 janvier 2020 de la Cour d’appel de Poitiers – dont nous ignorons s’il a fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation – demeurera isolé.
Nous signalons, à cet égard, un arrêt rendu le 5 mars 2020 par la Cour d’appel de Paris[[3]] qui confirme la jurisprudence antérieure, selon laquelle une AARPI n’a pas qualité pour ester en justice et ne peut exercer de recours en son nom.
[[1]] Civ. 2, du 26 mars 1997, 94-15.528 ; Cas. Com. 11 janv. 2005, 01-11.150 ; CA Paris, 6 sept. 2006, n° 05/25154 ; CA Paris, 12 fév. 2008, n° 07/03740 ; CA Grenoble, 1er sept. 2009, n° 08/03517 ; CA Amiens, 26 janv. 2010, n° 08/01108 ;CA Versailles, 22 sept. 2010, n° 09/05646 ; CA Grenoble, 2 avril 2012, n° 10/02905 ;
[[2]] CA Aix-en-Provence 9 nov. 2007 n°07/14263 ; CA Paris, 26 sept. 2013, n° 12/05157
[[3]] CA Paris 5 mars 2020 n°18/03121