Le Conseil d’Etat a récemment rendu trois décisions qui éclairent les conséquences d’opérations courantes, lorsqu’elles sont placées dans le cadre d’un report d’imposition : l’apport d’entreprise individuelle (I) et l’apport de droits sociaux (II).
I – Apport d’une entreprise individuelle
Souvent, les montages ou optimisations qui aboutissent à un résultat spectaculaire en terme de réduction d’impôt et/ou de charges sociales, ne « tiennent pas la route » et aboutissent in fine à une taxation lourde.
Il peut être tentant, pas exemple, d’utiliser une société combinée à un apport en nature pour améliorer sa situation fiscale et sociale, lorsqu’on est entrepreneur.
L’apport en nature d’un fonds de commerce est susceptible de générer une importante plus-value, représentative de l’activité passée de l’entrepreneur, le fruit de sont travail, laquelle peut être placée en régime de report d’imposition de l’article 151 octies du Code général des impôts, neutralité parfaitement normale car aucun mouvement de trésorerie n’accompagne l’apport dans la plupart des cas.
In fine, la société bénéficiaire de l’apport est dotée d’un capital important, aux mains du ou des apporteurs.
Dans une affaire qui a abouti à une décision du Conseil d’Etat en date du 8 octobre 2010 (CE, 8ème et 3ème ss-sect, 8 oct 2010 n° 321361), un couple d’entrepreneurs avait suivi ce schéma et apporté un fonds de commerce d’optique à une société dont le capital était détenu à parité par les apporteurs.
Le fonds, apporté en juillet 1994, avait été valorisé 3.600.000 francs.
Dans la foulée, les associés avaient procédé à une réduction de capital de 3.300.000 francs, par réduction de la valeur nominale des parts, ramenant le capital à 300.000 francs. Cette réduction avait été effectuée par remboursement des parts et inscription en compte courant des créances des associés sur la société.
On comprend qu’à l’issue de la réduction, les associés disposaient de la possibilité de percevoir en numéraire une somme de 3.300.000 francs, hors intérêts, en remboursement de leurs comptes courants, en franchise d’impôt et de cotisations sociales.
La réduction de capital qui correspond à un remboursement des apports n’est en effet pas soumise à taxation.
La lecture des faits suffit pour mesurer les conséquences de l’opération.
Les associés ont donc fait l’objet d’un redressement, le report d’imposition ayant été rejeté, dans le cadre de la procédure de répression des abus de droit de l’article L 64 du Livre des procédures fiscales alors applicable. On sait que le recours à cette procédure signifie l’application d’une pénalité s’élevant à 80% des droits éludés.
Les apporteurs ont tenté d’écarter l’application de l’article L 64 en soutenant que, dans la mesure où ils avaient perçus une contrepartie en numéraire, cette seule circonstance suffisait à entraîner une remise en cause du sursis d’imposition, sans qu’il y ait lieu d’appliquer l’article L 64.
Le Conseil d’Etat n’a pas suivi cette argumentation et a surtout retenu que, en conservant l’intégralité de leurs parts, les apporteurs avaient réalisé un montage dissimulant une mutation à titre onéreux du fonds de commerce, en quelque sorte une vente à soi même sous forme de réduction de capital.
En effet, le report d’imposition n’est remis en cause qu’en cas de rachat ou annulation des droits sociaux remis en échange de l’apport ou de cession par la société des immobilisations reçues en apport.
Maintenir la propriété des parts permettait de ne pas entrer dans ces cas de figure. Mais c’était prendre un risque important en cas de contrôle.
Il eut été préférable de réaliser une véritable vente à soi même financée par emprunt et de payer le montant de la plus-value.
D’une manière générale, les opérations d’apport en régime de sursis d’imposition sont susceptibles d’attirer l’attention de l’administration, eu égard à la tentation d’utiliser l’écran de la personne morale.
II - Apports de droits sociaux
On peut en avoir une illustration dans deux autres affaires soumises au Conseil D’Etat en date du 8 octobre 2010, concernant la mise en œuvre de reports d’impositions dans le cadre d’apports de titres à des sociétés Holding (CE, 8ème et 3ème ss-sect, 8 oct 2010, n° 313139 et 301934).
Dans ces deux affaires, les apporteurs avaient constitué des sociétés civiles, lesquelles avaient opté pour l’impôt sur les sociétés, puis avaient apporté des titres de sociétés dont ils avaient le contrôle, dans le cadre du régime de report d’imposition applicables à l’époque, soit les articles 92 B et 160 du Code général des impôts, aujourd’hui remplacés par l’article 150-0-B du CGI préalablement à la cession de ces titres par les Holdings.
Les apports n’ont donc pas été suivis de réduction de capital, mais d’une cession des titres apportés or une telle cession, si elle ne déclenche pas le paiement de la plus-value en report, ne permet pas aux associés de la holding de percevoir immédiatement des liquidités.
Cependant, bien que les associés ne puissent percevoir directement des liquidités, la Holding elle même peut utiliser les fonds comme elle l’entend, s’agissant de surcroit de sociétés civiles, par définition hors du champ de l’abus de bien social, la marge de manœuvre pour utiliser les fonds est grande. D’où la méfiance de l’administration.
Il est intéressant ici de rappeler la position du Conseil d’Etat concernant ce type d’apports :
« Considérant que le placement en report d’imposition d’une plus-value réalisée par un contribuable, lors de l’apport de titres à une société qu’il contrôle, et qui a été suivi de leur cession par cette société, est constitutif d’un abus de droit s’il s’agit d’un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l’apport, qu’il n’a en revanche pas ce caractère s’il ressort de l’ensemble de l’opération que cette société a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le, produit de ces cessions dans une activité économique ».
Pour remettre en cause les reports et utiliser la procédure de l’abus de droit, l’administration a essentiellement pris en considération le bref délai ayant séparé les constitutions des sociétés des apports et les apports eux mêmes des cessions et a également estimé que les sociétés holding n’avaient pas réellement d’activité.
En synthèse, il était reproché aux contribuables d’avoir constitué des holdings à seule fin de bénéficier du report d’imposition.
Bien qu’il puisse paraître curieux qu’en l’absence de quelque dissimulation que ce soit l’administration fasse usage de la procédure de répression des abus de droit, l’attendu de principe du Conseil d’Etat cité ci-dessus ne laisse place à aucun doute, lorsque l’apport/cession n’aboutit pas à un soutien de l’activité économique.de la holding.
En quelque sorte il y a aura présomption d’une utilisation frauduleuse de la Holding, même si les apporteurs n’en font aucun usage.
La seule façon de se prémunir est de concevoir la Holding comme devant avoir une réelle activité économique, à l’exclusion de toute gestion purement patrimoniale.
Pour les deux affaires en question, le Conseil d’Etat a retenu la réalité de l’activité économique car les Holdings avaient investi ultérieurement au moyen de prises de participation et d’apports en compte courant dans des sociétés exploitant des hôtels et restaurants, domaine d’activité des apporteurs.
Même dans le cadre d’investissements effectués longtemps après l’apport, la réalité de l’activité économique a prévalu sur l’avantage fiscal du report.
Ces décisions concernent des textes abrogés mais demeurent importantes, même sous le régime actuel d’imposition qui permet, du fait de l’abattement pour durée de détention, une exonération des plus-values au bout de 8 ans (art 150 -0-D bis).
En synthèse, le recours à une société Holding, préalablement à une cession de participation, au moyen d’un apport en régime de report d’imposition n’est pas risqué en soi, à condition de ne pas perdre de vue que les fonds reçus de la cession devront être réinvestis dans des activités économiques réelles et vérifiables.
A défaut, une Holding qui resterait en sommeil pendant 8 ans après une cession pourrait se révéler être un mauvais calcul…
I – Apport d’une entreprise individuelle
Souvent, les montages ou optimisations qui aboutissent à un résultat spectaculaire en terme de réduction d’impôt et/ou de charges sociales, ne « tiennent pas la route » et aboutissent in fine à une taxation lourde.
Il peut être tentant, pas exemple, d’utiliser une société combinée à un apport en nature pour améliorer sa situation fiscale et sociale, lorsqu’on est entrepreneur.
L’apport en nature d’un fonds de commerce est susceptible de générer une importante plus-value, représentative de l’activité passée de l’entrepreneur, le fruit de sont travail, laquelle peut être placée en régime de report d’imposition de l’article 151 octies du Code général des impôts, neutralité parfaitement normale car aucun mouvement de trésorerie n’accompagne l’apport dans la plupart des cas.
In fine, la société bénéficiaire de l’apport est dotée d’un capital important, aux mains du ou des apporteurs.
Dans une affaire qui a abouti à une décision du Conseil d’Etat en date du 8 octobre 2010 (CE, 8ème et 3ème ss-sect, 8 oct 2010 n° 321361), un couple d’entrepreneurs avait suivi ce schéma et apporté un fonds de commerce d’optique à une société dont le capital était détenu à parité par les apporteurs.
Le fonds, apporté en juillet 1994, avait été valorisé 3.600.000 francs.
Dans la foulée, les associés avaient procédé à une réduction de capital de 3.300.000 francs, par réduction de la valeur nominale des parts, ramenant le capital à 300.000 francs. Cette réduction avait été effectuée par remboursement des parts et inscription en compte courant des créances des associés sur la société.
On comprend qu’à l’issue de la réduction, les associés disposaient de la possibilité de percevoir en numéraire une somme de 3.300.000 francs, hors intérêts, en remboursement de leurs comptes courants, en franchise d’impôt et de cotisations sociales.
La réduction de capital qui correspond à un remboursement des apports n’est en effet pas soumise à taxation.
La lecture des faits suffit pour mesurer les conséquences de l’opération.
Les associés ont donc fait l’objet d’un redressement, le report d’imposition ayant été rejeté, dans le cadre de la procédure de répression des abus de droit de l’article L 64 du Livre des procédures fiscales alors applicable. On sait que le recours à cette procédure signifie l’application d’une pénalité s’élevant à 80% des droits éludés.
Les apporteurs ont tenté d’écarter l’application de l’article L 64 en soutenant que, dans la mesure où ils avaient perçus une contrepartie en numéraire, cette seule circonstance suffisait à entraîner une remise en cause du sursis d’imposition, sans qu’il y ait lieu d’appliquer l’article L 64.
Le Conseil d’Etat n’a pas suivi cette argumentation et a surtout retenu que, en conservant l’intégralité de leurs parts, les apporteurs avaient réalisé un montage dissimulant une mutation à titre onéreux du fonds de commerce, en quelque sorte une vente à soi même sous forme de réduction de capital.
En effet, le report d’imposition n’est remis en cause qu’en cas de rachat ou annulation des droits sociaux remis en échange de l’apport ou de cession par la société des immobilisations reçues en apport.
Maintenir la propriété des parts permettait de ne pas entrer dans ces cas de figure. Mais c’était prendre un risque important en cas de contrôle.
Il eut été préférable de réaliser une véritable vente à soi même financée par emprunt et de payer le montant de la plus-value.
D’une manière générale, les opérations d’apport en régime de sursis d’imposition sont susceptibles d’attirer l’attention de l’administration, eu égard à la tentation d’utiliser l’écran de la personne morale.
II - Apports de droits sociaux
On peut en avoir une illustration dans deux autres affaires soumises au Conseil D’Etat en date du 8 octobre 2010, concernant la mise en œuvre de reports d’impositions dans le cadre d’apports de titres à des sociétés Holding (CE, 8ème et 3ème ss-sect, 8 oct 2010, n° 313139 et 301934).
Dans ces deux affaires, les apporteurs avaient constitué des sociétés civiles, lesquelles avaient opté pour l’impôt sur les sociétés, puis avaient apporté des titres de sociétés dont ils avaient le contrôle, dans le cadre du régime de report d’imposition applicables à l’époque, soit les articles 92 B et 160 du Code général des impôts, aujourd’hui remplacés par l’article 150-0-B du CGI préalablement à la cession de ces titres par les Holdings.
Les apports n’ont donc pas été suivis de réduction de capital, mais d’une cession des titres apportés or une telle cession, si elle ne déclenche pas le paiement de la plus-value en report, ne permet pas aux associés de la holding de percevoir immédiatement des liquidités.
Cependant, bien que les associés ne puissent percevoir directement des liquidités, la Holding elle même peut utiliser les fonds comme elle l’entend, s’agissant de surcroit de sociétés civiles, par définition hors du champ de l’abus de bien social, la marge de manœuvre pour utiliser les fonds est grande. D’où la méfiance de l’administration.
Il est intéressant ici de rappeler la position du Conseil d’Etat concernant ce type d’apports :
« Considérant que le placement en report d’imposition d’une plus-value réalisée par un contribuable, lors de l’apport de titres à une société qu’il contrôle, et qui a été suivi de leur cession par cette société, est constitutif d’un abus de droit s’il s’agit d’un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l’apport, qu’il n’a en revanche pas ce caractère s’il ressort de l’ensemble de l’opération que cette société a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le, produit de ces cessions dans une activité économique ».
Pour remettre en cause les reports et utiliser la procédure de l’abus de droit, l’administration a essentiellement pris en considération le bref délai ayant séparé les constitutions des sociétés des apports et les apports eux mêmes des cessions et a également estimé que les sociétés holding n’avaient pas réellement d’activité.
En synthèse, il était reproché aux contribuables d’avoir constitué des holdings à seule fin de bénéficier du report d’imposition.
Bien qu’il puisse paraître curieux qu’en l’absence de quelque dissimulation que ce soit l’administration fasse usage de la procédure de répression des abus de droit, l’attendu de principe du Conseil d’Etat cité ci-dessus ne laisse place à aucun doute, lorsque l’apport/cession n’aboutit pas à un soutien de l’activité économique.de la holding.
En quelque sorte il y a aura présomption d’une utilisation frauduleuse de la Holding, même si les apporteurs n’en font aucun usage.
La seule façon de se prémunir est de concevoir la Holding comme devant avoir une réelle activité économique, à l’exclusion de toute gestion purement patrimoniale.
Pour les deux affaires en question, le Conseil d’Etat a retenu la réalité de l’activité économique car les Holdings avaient investi ultérieurement au moyen de prises de participation et d’apports en compte courant dans des sociétés exploitant des hôtels et restaurants, domaine d’activité des apporteurs.
Même dans le cadre d’investissements effectués longtemps après l’apport, la réalité de l’activité économique a prévalu sur l’avantage fiscal du report.
Ces décisions concernent des textes abrogés mais demeurent importantes, même sous le régime actuel d’imposition qui permet, du fait de l’abattement pour durée de détention, une exonération des plus-values au bout de 8 ans (art 150 -0-D bis).
En synthèse, le recours à une société Holding, préalablement à une cession de participation, au moyen d’un apport en régime de report d’imposition n’est pas risqué en soi, à condition de ne pas perdre de vue que les fonds reçus de la cession devront être réinvestis dans des activités économiques réelles et vérifiables.
A défaut, une Holding qui resterait en sommeil pendant 8 ans après une cession pourrait se révéler être un mauvais calcul…