Critiquée et condamnée dans les rapports annuels de 2006 (1) et de 2016 (2) du Conseil d’État, l’inflation législative suscite trop d’interprétations et d’incompréhensions. Le traitement fiscal et social des dividendes perçus par un associé d’une structure d’exercice relevant de l’impôt sur les sociétés illustre cette complexité.
Aux avocats tentés de se regrouper au sein de structures d’exercice redevables de l’impôt sur les sociétés, le législateur offre un large panel de formes juridiques, parmi lesquelles : la société d’exercice libéral (SEL), la société par actions simplifiée (SAS), la société à responsabilité limitée (SARL), la société civile professionnelle (SCP), l’association d’avocats à responsabilité professionnelle individuelle (AARPI).
Qu’ils soient en capital ou en industrie, les associés peuvent – en sus de leurs rémunérations au titre de leur mandat social ou de leur fonction technique – se répartir le bénéfice distribuable, «constitué par le bénéfice de l’exercice, diminué des pertes antérieures, ainsi que des sommes à porter en réserve en application de la loi ou des statuts, et augmenté du report bénéficiaire»3. Ces sommes distribuées sont des revenus communément appelés «dividendes»4.
Comment qualifier ces revenus ? Quel régime fiscal et social suivent-ils ? Quelles sont les incidences du choix de la forme de société ? Répondre à ces questions consiste non seulement à expliquer le régime fiscal et social des dividendes eu égard le statut de la structure d’exercice et de qualité de l’associé qui les reçoit, mais aussi à inventorier les incohérences, à en expliquer les conséquences et à proposer des solutions.
Qui distribue et reçoit les dividendes ?
Différence de traitement entre les associés personnes physiques et personnes morales
L’Administration fiscale considère que les dividendes peuvent être distribués par les SELARL, SELAS, SARL, les SAS, les SCP, les AARPI… relevant de l’impôt sur les sociétés5 (IS) : ces sommes perçues par les associés personnes physiques sont imposées en leur nom à l’impôt sur le revenu (IR) dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (RCM) selon les règles fixées par les articleS 108 à 117 du code général des impôts (CGI).
Les dividendes perçus par les associés personnes morales6 rentrent, en principe, comme les autres produits perçus par la société, dans l’assiette imposable à l’IS7. Cependant, afin d’éviter leur double imposition, l’associé personne morale soumis à l’IS peut opter pour le régime «mères et filles»8, lequel accorde l’exonération d’IS aux dividendes perçus à hauteur de 95 %9. Des conditions doivent être respectées : la société mère (l’associé) doit détenir en pleine propriété des titres revêtant la forme nominative et représentant au moins 5 % du capital social de la fille (la société distributrice) et elle a l’obligation de conserver les titres de sa filiale pendant au moins deux ans ou s’engager à les conserver pendant cette durée.
Les associés apporteurs en industrie ont-ils droit aux dividendes ?
L’apport en industrie, dont le principe est instauré par l’article 1832 du code civil, peut se définir comme une mise à disposition continue dans le temps par un associé (personne physique ou morale) de son activité10, à savoir : ses compétences, ses connaissances techniques, son savoir-faire, son travail.
Autorisé dans les SCP11 , les SAS (ainsi que les SELAS)12 et les SARL (ainsi que les SELARL)13, l’apport doit être mentionné dans les statuts14, lesquels, sous réserve du respect des dispositions de l’article 1844-1 du code civil, peuvent prévoir, en rémunération, des titres15 qui, à la différence de l’apport en numéraire ou en nature, ne concourent pas à la formation du capital social des sociétés16(SEL, SARL, SAS, SCP). Ces titres donnent droit à «l’associé en industrie» non seulement au partage du résultat et de l’actif net, mais aussi à la participation aux votes lors des assemblées générales des associés, à charge de contribuer aux pertes. Par conséquent, il détient des droits non représentatifs du capital social sur le bénéfice distribuable : des dividendes peuvent également lui être distribués.
Par ailleurs, il est impossible pour l’associé personne morale ne détenant que des parts en industrie d’opter pour le régime «mère et fille» : ses titres ne participent pas à la formation du capital social.
Enfin, l’AARPI est - par définition - une structure d’exercice17 dépourvue de parts sociales et de la personnalité morale18 : les associés n’apportent donc que leur industrie, ce qui offre la possibilité à l’AARPI, imposée à l’IS selon les règles prévues pour les sociétés en participation19, d’octroyer des dividendes à ses membres. Toutefois, l’absence de capital social prive l’associé personne morale du bénéfice du régime «mère et fille».
Comment un associé personne physique peut-il choisir le régime fiscal et social des dividendes qu’il perçoit ?
Par la grâce de la contribution sociale généralisée (CSG), les revenus d’activité et de remplacement se distinguent de ceux du patrimoine.
En effet, le code de la sécurité sociale (CSS) définit deux CSG distinctes : la CSG sur les revenus d’activité (taux global de 9,2 %, dont 6,8 % déductible de l’IR) et la CSG sur les revenus du patrimoine et du capital (taux global de 9,9 %, dont 6,8 % déductible de l’IR). Ainsi, l’article L. 136-1-1 du CSS désigne les revenus d’activité comme étant «toutes les sommes, […], dus en contrepartie ou à l’occasion d’un travail, d’une activité […], quelles qu’en soient […] la qualité de celui qui les attribue, que cette attribution soit directe ou indirecte», alors que l’article L. 136-6 du même code détaille les composantes du revenu du patrimoine, lesquels comprennent notamment les revenus de capitaux mobiliers.
Par conséquent, le régime fiscal et social de l’associé percevant des dividendes est défini à l’aune de la provenance de ses revenus, lesquels sont soit issus des activités propres à son travail (mandat social ou fonctions techniques), soit issus du patrimoine, de la rente.
Les outils législatifs à la disposition de l’associé percevant des dividendes
Depuis le 1er janvier 2018, les associés peuvent choisir entre soumettre, de plein droit, les dividendes à un taux forfaitaire global de 30 %, la « flat tax »20, ou, sur option, les imposer au barème progressif de l’impôt sur le revenu21 (après un abattement de 40 %) et aux prélèvements sociaux (17,2 %).
La « flat tax » se décompose en un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 12,8 % d’IR et en prélèvements sociaux de 17,2 % (dont 9,9 % de CSG de patrimoine).
Une structure d’exercice distribuant des dividendes a l’obligation de reverser à l’Administration fiscale l’acompte d’IR et les prélèvements sociaux au taux global de 30 %, et, elle doit transmettre une déclaration n° 2777 dans les quinze jours suivant l’expiration du mois au cours duquel les revenus soumis aux prélèvements forfaitaires et sociaux ont été payés.
Les dividendes soumis à la «flat tax» n’ouvrent pas droit à la déduction de la CSG du patrimoine, alors que pour ceux taxés sur option au barème progressif de l’IR, l’associé peut déduire partiellement la CSG du patrimoine (6,8 %) de son revenu global imposable.
Traitement social des dividendes perçus par les associés professionnels (exerçant leur activité dans la structure d’exercice) relevant de la sécurité sociale des indépendants.
D’un point de vue social, les revenus d’activité – provenant de l’exercice du mandat social ou des fonctions techniques – des associés d’AARPI, de SCP et des gérants majoritaires22 de SELARL ou SARL relèvent obligatoirement de la sécurité sociale des indépendants23. Il en procède ainsi pour les rémunérations des fonctions techniques des associés (exerçant dans des conditions ne les plaçant pas dans un lien de subordination) de SEL24.
En conséquence, lorsqu’un associé relevant de la sécurité sociale des indépendants reçoit des dividendes25, la fraction dépassant 10 % du montant de la valeur des biens du patrimoine affecté constaté en fin d’exercice26 est considérée comme des revenus émanant de l’activité : ils sont assujettis aux cotisations sociales professionnelles27 (URSSAF, CNBF) et, de ce fait, ils sont également soumis à la CSG d’activité (déductible) et non à celle du patrimoine. Ainsi, que l’associé retienne le régime de droit commun (la «flat tax») ou qu’il opte pour l’imposition au barème progressif de l’IR, les dividendes perçus doivent être reportés - pour la fraction supérieure à 10 % du capital social - sur sa déclaration sociale des indépendants (DSI).
En revanche, pour la part inférieure à 10 % du montant de la valeur des biens du patrimoine affecté constaté en fin d’exercice, les dividendes sont assimilés à des revenus du patrimoine soumis uniquement aux prélèvements sociaux.
Par ailleurs, les associés en industrie qui ne sont pas placés dans un état de subordination pour leurs prestations et les membres d’AARPI ne possèdent pas de patrimoine social : à condition que le solde moyen annuel de son compte courant ne soit pas créditeur, l’associé percevant des dividendes doit les considérer dans leur intégralité comme des revenus émanant de son activité.
Traitement social des dividendes perçus par les associés (exerçant ou non leur activité dans la structure d’exercice) ne relevant pas de la sécurité sociale des indépendants.
D’un point de vue social, ne relèvent pas de la sécurité sociale des indépendants : l’associé de SAS ou de SELAS percevant une rémunération pour ses fonctions de mandataire social ; l’associé ne contrôlant pas sa société28 (SEL, SARL ou SAS) et exerçant ses fonctions techniques dans un état de subordination (il perçoit un salaire au motif qu’il est lié par un contrat de travail). Ils bénéficient du régime général de la sécurité sociale29. Dès lors, les dividendes perçus sont considérés comme des revenus résultant de la rente : ils ne sont pas assujettis aux cotisations sociales, mais uniquement aux prélèvements sociaux (17,2 %).
Cependant, en ce qui concerne la SARL et la SELARL, les charges sociales sont dues sur les dividendes30 perçus par l’associé - gérant majoritaire ou gérant minoritaire appartenant à un collège de gérance majoritaire - ne recevant aucun revenu d’activité. Dans les autres cas (dont celui de l’associé de la SAS ou de la SELAS), les charges sociales ne sont pas dues par l’associé ne percevant aucun revenu d’activité et seuls les prélèvements sociaux s’appliquent.
En conclusion, quant aux dividendes versés à un associé, il convient de distinguer l’associé personne morale de celui personne physique. Pour ce dernier, le sort fiscal et social des dividendes reçus diffère suivant : le choix entre la «flat tax» et l’option pour l’imposition au barème progressif de l’IR ; la provenance et le régime d’imposition des revenus d’activité de l’associé ; le statut juridique de la structure d’exercice ; la nature des droits sociaux détenus par l’associé.
Toutefois, la loi «Macron»31 a instauré la fin du principe d’unicité d’exercice dans les sociétés d’avocat et elle a autorisé les avocats à exercer leur profession au sein de sociétés commerciales qui, telles les SARL ou les SAS ne confèrent pas la qualité de commerçant à leurs associés. Ainsi, l’exercice de la profession n’étant plus exclusif depuis le 1er août 2016, l’associé personne physique d’une SAS d’avocats peut se constituer une clientèle personnelle en dehors de ladite société. Il a également le droit, au titre de la rémunération de ses fonctions techniques, de percevoir des honoraires soit en son nom propre et être imposé à l’IR dans la catégorie des BNC32, soit par le biais d’une SELARLU ou d’une EURL imposée à l’IS et être imposé à l’IR selon les conditions de l’article 62 du CGI. Il doit être couvert par une assurance responsabilité civile professionnelle, il est redevable de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de la cotisation foncière des entreprises (CFE)… Bien sûr, ces honoraires ne sont versés que pour rémunérer les prestations techniques, pour lesquelles il est recommandé de documenter les dossiers, de détailler le nombre d’heures passées, de retenir comme taux horaire celui du prix du marché, de conserver les justificatifs.
En conséquence, à condition de respecter les conditions exposées ci-dessus, cet associé personne physique de SAS ne peut-il pas également recevoir des dividendes ne supportant que les prélèvements sociaux à 17,2 % ? Certes, il intervient tel un sous-traitant auprès de la société de laquelle il est associé ; cependant, ces dividendes ne sont-ils pas obligatoirement soumis aux charges sociales professionnelles (CNBF, URSSAF) pour la fraction dépassant 10 % des biens du patrimoine affecté constaté à la fin de l’exercice, au motif que l’associé exerçant ses fonctions techniques dans la SAS relève de la sécurité sociale des indépendants ?
Dès lors, tant la forme juridique de la structure d’exercice distribuant les dividendes que la situation de l’associé au regard de la société ne commandent-elles pas le traitement social des dividendes perçus par l’associé quel que soit son statut social ?
Ces questions demeurent sans réponses. Aussi, des précisions de la part des Administrations concernées seraient fort utiles.
En effet, l’article 109 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 instaure une nouvelle procédure d’abus de droit, selon laquelle le motif fiscal exclusif est remplacé par un motif fiscal principal33. De ce fait, à moins que le Conseil constitutionnel invalide cette mesure, l’Administration fiscale, à partir du 1er janvier 2021, peut opposer l’abus de droit au contribuable qui réalise une opération34 pouvant lui procurer un avantage fiscal : seules les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2020 sont concernées. Ainsi, la charge de la preuve est renversée : il revient au contribuable d’apporter la preuve que le but de l’opération n’est pas une diminution de l’impôt.
1. Conseil d’État – Rapport public 2006 : sécurité juridique et complexité du droit – mars 2006, 400 pages
2. Conseil d’État – Rapport public 2016 : activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2015 – mai 2016, 459 pages
3. C. com., art. L. 232-11.
4. Conformément à la définition que propose à titre indicatif l’Administration fiscale dans le BOFIP BOI-INT-DG-20-20-20-10-20120912.
5. BOFIP, BOI-RPPM-RCM-10-20-10-20120912, §§ 1er et 10.
6. Il faut noter que la SCP instituée par la loi n° 66-879 du 29 nov. 1966 ne peut être constituée que par des personnes physiques (art. 1er).
7. CGI, art. 205.
8. CGI, art. 145 et 216.
9. BOFIP, BOI-IS-BASE-10-10-10-10-20161005.
10. « Industria » signifie « activité » en latin.
11. C. civ., art. 1843-2, al. 2.
12. C. com., art. L. 227-1, al. 4.
13. C. com., art. L. 223-7, al. 2.
14. À défaut, ils sont considérés comme inexistants (Com. 14 déc. 2004, n° 01-11.353, inédit).
15. Attribués intuitu personae, ces titres sont inaliénables..
16. C. civ., art. 1843-2, al. 2.
17. RIN, art. 17.1.
18. En raison de son assimilation à la société en participation (C. civ., art. 1871 à 1873).
19. CGI, art. 238 bis LA.
20. Loi n° 2017-1837 du 30 déc. 2017 de finances pour 2018, art. 28.
21. BOFIP, BOI-RPPM-RCM-20-10-20-10-20160711.
22. BOFIP, BOI-RSA-GER-10-10-10-20120912 (§ 40).
23. CSS, art. L. 611-1, L. 611-3 s.
24. Circ. ACOSS n° 2010-001 du 4 janv. 2010. V., A. Rigaud, SELAS et SELARL d’avocats à l’impôt sur les sociétés – Prélèvement à la source et revenus d’activité des associés hors dividendes - Dalloz avocats 2018. 475.
25. Déclarée conforme par le Conseil constitutionnel par la décision n° 2010-24 QPC du 6 août 2010, la circulaire DSS/5D 2010-315 du 18 août 2010 inclut les associés de SEL dès lors qu’ils relèvent du régime de protection sociale des travailleurs non-salariés en raison de leur activité professionnelle. Sont exclus : l’associé gérant minoritaire n’appartenant pas à un collège de gérance majoritaire de SELARL ; l’associé minoritaire non gérant ou non dirigeant de SELARL, SELAS ou SELAFA qui exerce son activité avec un lien de subordination ; l’associé minoritaire gérant ou dirigeant percevant une rémunération au titre de son mandat social mais n’étant pas rétribués pour ses fonctions techniques.
26. Le montant de la valeur du patrimoine affecté prend en compte : le capital social (apports en numéraire et en nature, à l’exception des biens incorporels) ainsi que les augmentations effectuées en cours de vie de la société ; la moyenne annuelle des sommes déposées sur les comptes courants d’associés; les primes d’émission; les réserves (si, lors de l’assemblée générale, les associés ont pris la décision de les incorporer au capital social de la société).
27. CSS, art. L. 131-6 (I, 4°) et Circ. ACOSS n° 2013-19 du 28 mars 2013.
28. Au sens de l’UNEDIC (Circ. UNEDIC, 26 mars 1970 et Circ. UNIDEC 2011-14 du 9 mars 2011).
29. À l’exception de l’assurance chômage pour celui n’étant pas lié par un contrat de travail.
30. Pour la fraction dépassant 10 % du montant de la valeur des biens du patrimoine affecté constaté en fin d’exercice
31. Art. 65 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 dont les modalités d’application sont expliquées par les décr. nos 2016-878, 2016-879 et 2016-882 du 29 juin 2016.
32. A. Rigaud, SELAS et SELARL d’avocats à l’impôt sur les sociétés – Prélèvement à la source et revenus d’activité des associés hors dividendes, préc.
33. LPF, art 64 A
34. À l’exception de celles pour lesquelles un rescrit formé reste sans réponse.