En France, environ 25% des dépôts de bilan sont dus aux impayés (source ANCR). Le recouvrement des créances est donc un enjeu économique majeur. Pourtant, beaucoup de créanciers sont réticents à l’idée d’engager des procédures allant au-delà du simple recouvrement amiable. De nombreuses créances sont passées en pertes.
Cette résignation est (ou plutôt était) compréhensible : un procès est souvent long, couteux et sans aucune garantie de succès.
Historiquement, le système judiciaire français est plus avantageux pour le débiteur que pour le créancier : depuis l’entrée en vigueur de l’article 700 du CPC (1976), seule une faible part des frais engagés pour la procédure est mise à la charge du débiteur et ce dernier n’encourt aucune sanction. Cela incite les comportements de « mauvais payeur » et le créancier, même gagnant, conserve toujours à sa charge une partie importante des coûts de la procédure (notamment les honoraires de son conseil).
Cependant en 2011, la directive 2011/7/UE « concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales » a été adoptée.
Inspiré des systèmes juridiques du nord de l’Europe, ce texte vise à mieux protéger les créanciers dans le cadre des relations B2B.
Une disposition d’ordre public qui met les frais du procès à charge du débiteur
Cette directive a été transposée en France par la loi du 23 mars 2012, qui a notamment modifié l’article L. 441-6 du Code de Commerce (désormais L. 441-10).
Tout le monde connaît cette disposition en ce qu’elle prévoit des intérêts de retard majorés et l’application d’une indemnité forfaitaire de 40 € par facture échue, que le débiteur doit de plein droit au créancier.
Toutefois, la suite de cette disposition est largement ignorée, alors qu’il s’agit d’un dispositif révolutionnaire. En effet, le texte poursuit en précisant qu’en sus des 40 € par facture « le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification » : le créancier peut dont obtenir le remboursement intégral de tous les frais engagés pour le recouvrement, sur justification.
Comme cela ressort du texte de la directive (art. 6 et considérants 19 et 20), mais également d’une note d’information de la DGCCRF du 1er février 2013, cette indemnité couvre les coûts internes et externes du créancier, y compris les dépenses engagées pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement.
Cela signifie que tous les créanciers B2B peuvent désormais engager des procédures de recouvrement, même pour des petites sommes, sachant que le juge est tenu de mettre à la charge du débiteur l’intégralité des frais exposés.
Lex specialia generalibus derogant … il résulte de la transcription de la directive qu’en matière de recouvrement de créances professionnelles, l’article 700 n’est plus applicable au profit de la disposition spéciale prévue par l’article L. 441-6 devenu L. 441-10.
Un long combat pour la mise en œuvre de ce texte par les juridictions
Dès l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif, nous avons commencé le combat judiciaire pour obtenir la mise en application du nouveau dispositif. Nous pensions que, le texte étant d’ordre public, il s’appliquerait immédiatement et sans difficulté : ce ne fut loin d’être le cas !
En raison du caractère méconnu de la disposition et des « habitudes » en matière d’article 700, il s’est avéré très difficile de faire accepter cette nouvelle culture par les juridictions françaises.
Après de multiples échecs, les premiers succès sont arrivés en 2014, devant le TGI de Paris et le TC d’Alençon qui ont condamné le débiteur à rembourser l’intégralité des frais exposés par le créancier et notamment les honoraires d’avocat, tant forfaitaires que de succès. Cette solution a ensuite été confirmée par de nombreuses décisions.
Un jugement du TC d’Epinal rendu en 2017 mérite d’être cité en raison de la clarté de sa motivation : « l’article L.441-6 n’offre au juge aucun pouvoir d’appréciation, celui-ci doit faire application du texte dès lors qu’il est justifié des frais exposés ».
En 2016, pour la première fois, puis en 2018 et en 2019, la Cour d’appel de Paris a affirmé que le débiteur doit au créancier tant les frais engagés en première instance, que ceux engagés en appel.
En 2019, la Cour d’Aix-en-Provence a retenu une solution identique, tout en confirmant que l’article L.441-10 se substitue à l’article 700 du CPC qui n’a plus vocation à s’appliquer au recouvrement des créances professionnelles.
Toutes ces décisions considèrent que le créancier apporte la justification des frais dont il demande le remboursement dès lors qu’il verse à la procédure la convention d’honoraires conclue avec son conseil, les factures d’honoraires, ou les notes de frais qu’il a engagées.
Toutefois, malgré la clarté de la directive européenne, les précisions apportées par la DGCCRF et une jurisprudence désormais abondante (nous avons recensé plus de 40 décisions intégralement favorables au créancier), il existe encore un aléa.
En particulier, par deux arrêts du 20 décembre 2019 et 18 mars 2021 les Cours d’appel de Paris et de Rennes ont retenu une solution contraire, considérant que les honoraires d’avocat ne sont pas des frais de recouvrement au sens de l’article L.441-10. Ces décisions, bien que totalement infondées, soulignent le besoin de rappeler précisément le champ d’application du dispositif dans les conclusions et de faire état des nombreuses décisions favorables déjà rendues.
Créances et personnes concernées par le dispositif
L’article L.441-10 s’applique à « toute transaction entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération. » (directive 2012/7).
Sont exclues les opérations qui ne sont pas soumises au titre IV du livre IV du code de commerce et ne font pas l’objet d’une facture (baux commerciaux, opérations de crédit relevant du CMF, chèques ou lettres de change impayés, indemnisations pour dommages et intérêts…).
S’agissant du créancier et du débiteur, sont concernés tous les professionnels (hors particuliers) ayant des activités de production, de distribution ou de services. Il n’est pas nécessaire que le professionnel soit commerçant (Cass. Civ. 2ème 3 mai 2018) : sont donc inclus les associations loi 1901 ayant une activité économique et toutes les professions libérales, y compris les avocats qui peuvent bénéficier de cette mesure afin de recouvrir leurs honoraires impayés. (CA Paris 5 nov. 2019)
La problématique des coûts internes
Ce dernier arrêt, à notre connaissance, est le seul à s’être prononcé sur la question du remboursement des coûts internes supportés par le créancier. Dans cette espèce, le cabinet d’avocat créancier avait versé aux débats ses feuilles de temps justifiant les temps passés pour préparer le dossier contentieux.
Inutilement, car la Cour a considéré que cela constituait une « preuve à soi-même ». Il est donc préférable d’externaliser le recouvrement autant que possible ou de recourir à des constats d’huissier pour tenter d’apporter une preuve de la réalité des coûts internes supportés par le créancier.
Comment mettre en pratique l’article L.441-10 ?
L’application de l’article L.441-10 du Code de commerce est d’ordre public et l’exigibilité des pénalités et indemnités prévues par ce texte n’a pas à être rappelée par les CGV ou les factures : il s’agit d’une obligation légale et non contractuelle.
Toutefois, notamment en vertu de l’article L.441-9, le taux des pénalités de retard et le montant de l’indemnité forfaitaire doivent être mentionnés sur les factures et les CGV, sous peine d’amendes administratives.
Il en découle une certaine confusion et le risque, en l’absence de ces mentions, d’être déboutés de sa demande au titre du remboursement des frais de recouvrement. Il est donc vivement conseillé de veiller à ce que les CGV et factures soient à jour et comportent toutes les informations requises.
Il n’est pas inutile, bien que cela ne soit pas obligatoire, de rappeler ces dispositions également dans la mise en demeure. Il faudra, en tout cas, verser à la procédure tous les justificatifs des frais exposés : convention d’honoraires, factures, preuve des coûts internes.
En guise de conclusion
Nous avons dit plus haut que jusqu’alors, le système judiciaire français est favorable aux débiteurs, mais l’introduction de ce texte, et la réforme du code de procédure civile entrée en vigueur le 1er janvier 2020 ont considérablement changé la donne.
Autrefois, le créancier devait attendre l’instance d’appel avant d’avoir un titre exécutoire, délai pendant lequel il bénéficiait au mieux de trois fois le taux d’intérêt légal, et il recevait une indemnité de l’article 700 couvrant une faible partie de ses frais réels.
Aujourd’hui, toutes les décisions de première instance sont en principe exécutoires à titre provisoire (art. 514 et s. du CPC) ; le taux d’intérêt de retard en matière de créances professionnelles est le fameux taux BCE + 10, soit en pratique un taux 10 % ; et enfin, le créancier bénéficie du remboursement intégral de ses frais de justice grâce aux dispositions de l’article L.441-10 du code de commerce : indéniablement, c’est la fin de la récré pour les débiteurs récalcitrants !
Cette résignation est (ou plutôt était) compréhensible : un procès est souvent long, couteux et sans aucune garantie de succès.
Historiquement, le système judiciaire français est plus avantageux pour le débiteur que pour le créancier : depuis l’entrée en vigueur de l’article 700 du CPC (1976), seule une faible part des frais engagés pour la procédure est mise à la charge du débiteur et ce dernier n’encourt aucune sanction. Cela incite les comportements de « mauvais payeur » et le créancier, même gagnant, conserve toujours à sa charge une partie importante des coûts de la procédure (notamment les honoraires de son conseil).
Cependant en 2011, la directive 2011/7/UE « concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales » a été adoptée.
Inspiré des systèmes juridiques du nord de l’Europe, ce texte vise à mieux protéger les créanciers dans le cadre des relations B2B.
Une disposition d’ordre public qui met les frais du procès à charge du débiteur
Cette directive a été transposée en France par la loi du 23 mars 2012, qui a notamment modifié l’article L. 441-6 du Code de Commerce (désormais L. 441-10).
Tout le monde connaît cette disposition en ce qu’elle prévoit des intérêts de retard majorés et l’application d’une indemnité forfaitaire de 40 € par facture échue, que le débiteur doit de plein droit au créancier.
Toutefois, la suite de cette disposition est largement ignorée, alors qu’il s’agit d’un dispositif révolutionnaire. En effet, le texte poursuit en précisant qu’en sus des 40 € par facture « le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification » : le créancier peut dont obtenir le remboursement intégral de tous les frais engagés pour le recouvrement, sur justification.
Comme cela ressort du texte de la directive (art. 6 et considérants 19 et 20), mais également d’une note d’information de la DGCCRF du 1er février 2013, cette indemnité couvre les coûts internes et externes du créancier, y compris les dépenses engagées pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement.
Cela signifie que tous les créanciers B2B peuvent désormais engager des procédures de recouvrement, même pour des petites sommes, sachant que le juge est tenu de mettre à la charge du débiteur l’intégralité des frais exposés.
Lex specialia generalibus derogant … il résulte de la transcription de la directive qu’en matière de recouvrement de créances professionnelles, l’article 700 n’est plus applicable au profit de la disposition spéciale prévue par l’article L. 441-6 devenu L. 441-10.
Un long combat pour la mise en œuvre de ce texte par les juridictions
Dès l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif, nous avons commencé le combat judiciaire pour obtenir la mise en application du nouveau dispositif. Nous pensions que, le texte étant d’ordre public, il s’appliquerait immédiatement et sans difficulté : ce ne fut loin d’être le cas !
En raison du caractère méconnu de la disposition et des « habitudes » en matière d’article 700, il s’est avéré très difficile de faire accepter cette nouvelle culture par les juridictions françaises.
Après de multiples échecs, les premiers succès sont arrivés en 2014, devant le TGI de Paris et le TC d’Alençon qui ont condamné le débiteur à rembourser l’intégralité des frais exposés par le créancier et notamment les honoraires d’avocat, tant forfaitaires que de succès. Cette solution a ensuite été confirmée par de nombreuses décisions.
Un jugement du TC d’Epinal rendu en 2017 mérite d’être cité en raison de la clarté de sa motivation : « l’article L.441-6 n’offre au juge aucun pouvoir d’appréciation, celui-ci doit faire application du texte dès lors qu’il est justifié des frais exposés ».
En 2016, pour la première fois, puis en 2018 et en 2019, la Cour d’appel de Paris a affirmé que le débiteur doit au créancier tant les frais engagés en première instance, que ceux engagés en appel.
En 2019, la Cour d’Aix-en-Provence a retenu une solution identique, tout en confirmant que l’article L.441-10 se substitue à l’article 700 du CPC qui n’a plus vocation à s’appliquer au recouvrement des créances professionnelles.
Toutes ces décisions considèrent que le créancier apporte la justification des frais dont il demande le remboursement dès lors qu’il verse à la procédure la convention d’honoraires conclue avec son conseil, les factures d’honoraires, ou les notes de frais qu’il a engagées.
Toutefois, malgré la clarté de la directive européenne, les précisions apportées par la DGCCRF et une jurisprudence désormais abondante (nous avons recensé plus de 40 décisions intégralement favorables au créancier), il existe encore un aléa.
En particulier, par deux arrêts du 20 décembre 2019 et 18 mars 2021 les Cours d’appel de Paris et de Rennes ont retenu une solution contraire, considérant que les honoraires d’avocat ne sont pas des frais de recouvrement au sens de l’article L.441-10. Ces décisions, bien que totalement infondées, soulignent le besoin de rappeler précisément le champ d’application du dispositif dans les conclusions et de faire état des nombreuses décisions favorables déjà rendues.
Créances et personnes concernées par le dispositif
L’article L.441-10 s’applique à « toute transaction entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération. » (directive 2012/7).
Sont exclues les opérations qui ne sont pas soumises au titre IV du livre IV du code de commerce et ne font pas l’objet d’une facture (baux commerciaux, opérations de crédit relevant du CMF, chèques ou lettres de change impayés, indemnisations pour dommages et intérêts…).
S’agissant du créancier et du débiteur, sont concernés tous les professionnels (hors particuliers) ayant des activités de production, de distribution ou de services. Il n’est pas nécessaire que le professionnel soit commerçant (Cass. Civ. 2ème 3 mai 2018) : sont donc inclus les associations loi 1901 ayant une activité économique et toutes les professions libérales, y compris les avocats qui peuvent bénéficier de cette mesure afin de recouvrir leurs honoraires impayés. (CA Paris 5 nov. 2019)
La problématique des coûts internes
Ce dernier arrêt, à notre connaissance, est le seul à s’être prononcé sur la question du remboursement des coûts internes supportés par le créancier. Dans cette espèce, le cabinet d’avocat créancier avait versé aux débats ses feuilles de temps justifiant les temps passés pour préparer le dossier contentieux.
Inutilement, car la Cour a considéré que cela constituait une « preuve à soi-même ». Il est donc préférable d’externaliser le recouvrement autant que possible ou de recourir à des constats d’huissier pour tenter d’apporter une preuve de la réalité des coûts internes supportés par le créancier.
Comment mettre en pratique l’article L.441-10 ?
L’application de l’article L.441-10 du Code de commerce est d’ordre public et l’exigibilité des pénalités et indemnités prévues par ce texte n’a pas à être rappelée par les CGV ou les factures : il s’agit d’une obligation légale et non contractuelle.
Toutefois, notamment en vertu de l’article L.441-9, le taux des pénalités de retard et le montant de l’indemnité forfaitaire doivent être mentionnés sur les factures et les CGV, sous peine d’amendes administratives.
Il en découle une certaine confusion et le risque, en l’absence de ces mentions, d’être déboutés de sa demande au titre du remboursement des frais de recouvrement. Il est donc vivement conseillé de veiller à ce que les CGV et factures soient à jour et comportent toutes les informations requises.
Il n’est pas inutile, bien que cela ne soit pas obligatoire, de rappeler ces dispositions également dans la mise en demeure. Il faudra, en tout cas, verser à la procédure tous les justificatifs des frais exposés : convention d’honoraires, factures, preuve des coûts internes.
En guise de conclusion
Nous avons dit plus haut que jusqu’alors, le système judiciaire français est favorable aux débiteurs, mais l’introduction de ce texte, et la réforme du code de procédure civile entrée en vigueur le 1er janvier 2020 ont considérablement changé la donne.
Autrefois, le créancier devait attendre l’instance d’appel avant d’avoir un titre exécutoire, délai pendant lequel il bénéficiait au mieux de trois fois le taux d’intérêt légal, et il recevait une indemnité de l’article 700 couvrant une faible partie de ses frais réels.
Aujourd’hui, toutes les décisions de première instance sont en principe exécutoires à titre provisoire (art. 514 et s. du CPC) ; le taux d’intérêt de retard en matière de créances professionnelles est le fameux taux BCE + 10, soit en pratique un taux 10 % ; et enfin, le créancier bénéficie du remboursement intégral de ses frais de justice grâce aux dispositions de l’article L.441-10 du code de commerce : indéniablement, c’est la fin de la récré pour les débiteurs récalcitrants !