Patrimonialité : une bonne part de la problématique de l’association tient dans ce mot.
Si la plupart des grands cabinets existe sous une forme non patrimoniale, c’est bien parce que ce type de structure facilite la croissance. Dans une association d’avocats, une AARPI, ou une SEP[[1]], il n’existe ni personnalité morale, ni patrimoine social. Par conséquent, le droit des associés se limite à un droit sur les résultats et il suffit au collaborateur, nouvel associé, d’adhérer au système de répartition.
Du fait même de l’absence de patrimoine, il n’y a ni mutation ni taxation lors des entrées et sorties d’associés[[2]]. En outre, personne ne détient "le capital" et l’état d’esprit est nécessairement plus égalitaire. Il n’existe donc aucun problème technique pour associer les collaborateurs, ce d’autant qu’en cas d’échec, la sortie est tout aussi simple que l’entrée. Le seul capital, finalement, est le capital humain.
En revanche, toutes les personnes morales, SCP et SEL, disposent d’un patrimoine, de sorte que tout mouvement d’associé est un mouvement de capital au sens financier. Il s’agit d’une opération potentiellement taxable, qui implique cession ou dilution de la part des associés en place. On devra donc procéder à la valorisation du cabinet, en ce compris le fonds libéral, c’est-à-dire essentiellement la clientèle[[3]].
La Cour de cassation[[4]] a jugé en effet, dans le cas parfaitement transposable d’une SCP de notaires, que « l’associé ... a droit à la valeur de ses parts et peut prétendre à l’ensemble des droits patrimoniaux qu’il détient dans la société au jour de son retrait ce qui inclut sa quote-part de la valeur du droit de présentation de clientèle[[5]] »
Ainsi, la patrimonialité est-elle considérée comme la racine du « mal français », qui empêche les cabinets de se pérenniser après le départ de leurs fondateurs : « C’est probablement une des causes de la faible pérennité des structures d’avocats en France par rapport aux pays anglo-saxons. Est-ce une coïncidence si les deux plus anciennes structures d’exercice d’avocats d’origine françaises (GLN et Jeantet) sont des associations, et donc dépourvues de patrimonialité ?[[6]] »
Cette problématique est au cœur de notre sujet, puisque c’est justement l’association des collaborateurs qui est freinée par la patrimonialité, plus précisément par la valeur que le fondateur entend retirer de l’opération. Le rapport précité[[7]] résume bien cette difficulté : « … la position du collaborateur qui accède à l’association et considère qu’il n’a pas à payer des valeurs qu’il a contribué à créer, comme celle de l’associé cessant son activité qui estime naturel d’être indemnisé des valeurs qu’il a créées, sont toutes deux respectables et doivent être considérées, et surtout conciliées. [[8]]»
Concilier : voilà le maître mot. Car l’association du collaborateur fait surgir un conflit d’intérêts, entre celui de l’actionnaire-cédant, celui du collaborateur-acquéreur, avec au beau milieu, celui de la structure. À l’époque où le fonds libéral n’existait pas, le droit positif offrait peu de solutions : il fallait que l’un des intérêts cède, à défaut de quoi, la transmission échouait et le collaborateur partait créer son propre cabinet, emportant une partie de la clientèle, participant ainsi au mal français sus évoqué.
Mais le fonds libéral n’est pas seulement un mot nouveau. Contrairement au "droit de présentation de clientèle"[[9]], c’est un objet de droit à part entière, qui peut se prêter à tout type d’opération, et facilite la réconciliation des intérêts en présence.
Dans ce dossier, nous verrons donc, après l’examen des opérations classiques de transmission, qui ne permettent pas de réconcilier le conflit d’intérêts, les opérations permises par la reconnaissance de la notion de fonds libéral, grâce auxquelles il est possible d’éviter les travers desdites opérations classiques, ce qui a permis, d’ailleurs, dans ses dernières années, un important développement des opérations de transmission et de rapprochement.
Ou comment la création d’une simple notion juridique, i.e le fonds libéral, permet de libérer l’énergie des acteurs économiques…
Si la plupart des grands cabinets existe sous une forme non patrimoniale, c’est bien parce que ce type de structure facilite la croissance. Dans une association d’avocats, une AARPI, ou une SEP[[1]], il n’existe ni personnalité morale, ni patrimoine social. Par conséquent, le droit des associés se limite à un droit sur les résultats et il suffit au collaborateur, nouvel associé, d’adhérer au système de répartition.
Du fait même de l’absence de patrimoine, il n’y a ni mutation ni taxation lors des entrées et sorties d’associés[[2]]. En outre, personne ne détient "le capital" et l’état d’esprit est nécessairement plus égalitaire. Il n’existe donc aucun problème technique pour associer les collaborateurs, ce d’autant qu’en cas d’échec, la sortie est tout aussi simple que l’entrée. Le seul capital, finalement, est le capital humain.
En revanche, toutes les personnes morales, SCP et SEL, disposent d’un patrimoine, de sorte que tout mouvement d’associé est un mouvement de capital au sens financier. Il s’agit d’une opération potentiellement taxable, qui implique cession ou dilution de la part des associés en place. On devra donc procéder à la valorisation du cabinet, en ce compris le fonds libéral, c’est-à-dire essentiellement la clientèle[[3]].
La Cour de cassation[[4]] a jugé en effet, dans le cas parfaitement transposable d’une SCP de notaires, que « l’associé ... a droit à la valeur de ses parts et peut prétendre à l’ensemble des droits patrimoniaux qu’il détient dans la société au jour de son retrait ce qui inclut sa quote-part de la valeur du droit de présentation de clientèle[[5]] »
Ainsi, la patrimonialité est-elle considérée comme la racine du « mal français », qui empêche les cabinets de se pérenniser après le départ de leurs fondateurs : « C’est probablement une des causes de la faible pérennité des structures d’avocats en France par rapport aux pays anglo-saxons. Est-ce une coïncidence si les deux plus anciennes structures d’exercice d’avocats d’origine françaises (GLN et Jeantet) sont des associations, et donc dépourvues de patrimonialité ?[[6]] »
Cette problématique est au cœur de notre sujet, puisque c’est justement l’association des collaborateurs qui est freinée par la patrimonialité, plus précisément par la valeur que le fondateur entend retirer de l’opération. Le rapport précité[[7]] résume bien cette difficulté : « … la position du collaborateur qui accède à l’association et considère qu’il n’a pas à payer des valeurs qu’il a contribué à créer, comme celle de l’associé cessant son activité qui estime naturel d’être indemnisé des valeurs qu’il a créées, sont toutes deux respectables et doivent être considérées, et surtout conciliées. [[8]]»
Concilier : voilà le maître mot. Car l’association du collaborateur fait surgir un conflit d’intérêts, entre celui de l’actionnaire-cédant, celui du collaborateur-acquéreur, avec au beau milieu, celui de la structure. À l’époque où le fonds libéral n’existait pas, le droit positif offrait peu de solutions : il fallait que l’un des intérêts cède, à défaut de quoi, la transmission échouait et le collaborateur partait créer son propre cabinet, emportant une partie de la clientèle, participant ainsi au mal français sus évoqué.
Mais le fonds libéral n’est pas seulement un mot nouveau. Contrairement au "droit de présentation de clientèle"[[9]], c’est un objet de droit à part entière, qui peut se prêter à tout type d’opération, et facilite la réconciliation des intérêts en présence.
Dans ce dossier, nous verrons donc, après l’examen des opérations classiques de transmission, qui ne permettent pas de réconcilier le conflit d’intérêts, les opérations permises par la reconnaissance de la notion de fonds libéral, grâce auxquelles il est possible d’éviter les travers desdites opérations classiques, ce qui a permis, d’ailleurs, dans ses dernières années, un important développement des opérations de transmission et de rapprochement.
Ou comment la création d’une simple notion juridique, i.e le fonds libéral, permet de libérer l’énergie des acteurs économiques…
[[1]] Ch. Thévenet, « Des mérites de l’association d’avocats », ibid. p.198
[[2]] La SEP ou l'association disposent cependant d'une personnalité fiscale ce qui peut entrainer des conséquences en cas d'apport en indivision, par application des dispositions de l'article 238 bis M du CGI. Il peut y avoir constatation de plus-values avec report d’imposition (article 151 octies CGI)
[[3]] La notion de « fonds d’exercice libéral » ou « fonds libéral », équivalent du fonds de commerce, a été consacrée par un célèbre arrêt de revirement, abandonnant 150 ans d’interdiction de la cession de la clientèle civile - Cass civ 1ère, 7 novembre 2000 - arrêt n° 1723 FP-P+B+R, Woessner c/ Sigrand
[[4]] Cass. 1ère civ. 18 juin 1996 - JCP E 1997 § 910
[[5]] Cette décision étant antérieure à l’arrêt Woesner / Sigrand, la cour utilise encore le vocable de droit de présentation de clientèle aujourd’hui remplacé par le fonds libéral
[[6]] Uetwiller, « La patrimonialité des cabinets d’avocats » , rapport de la commission SFSF du CNB, assemblée générale du 13 et 14 juin 2008
[[7]] Uetwiller, ibid
[[8]] Lire l’article de C. Neveux qui résume assez bien la problématique :« Patrimonialité du cabinet : faut-il en débattre? » in Droit & Expertise, 9 mars 2011, p.8
[[9]] Le « droit de présentation de clientèle » est une fiction, issue d’un contournement de la pratique pour permettre les cessions de clientèles civiles malgré la prohibition