Les conflits entre avocats associés, ou concernant un avocat collaborateur, sont régis par l’’article 21, III de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qui prévoit une conciliation préalable par le bâtonnier : « Tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier … »
Le décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 prévoit également, en son article 179-1 : « En cas de différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel et à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel les avocats intéressés sont inscrits est saisi par l'une ou l'autre des parties. »
Enfin, pour les litiges collaboration, c’est l’article 142 du décret du 27 novembre 1991 qui prévoit que : « Pour tout litige né à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail, à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel l'avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi … »
Ces trois textes sont assez sibyllins sur le caractère obligatoire de la conciliation préalable, mais la jurisprudence des cours d’appel, unanime, considérait la conciliation obligatoire, non seulement dans son principe, mais comme devant porter sur chacun des points ensuite soumis au bâtonnier au cours de l’arbitrage.
Cette jurisprudence rigoureuse aboutissait à l’irrecevabilité des demandes présentées devant le bâtonnier, et n’ayant pas été soumise préalablement à la conciliation, et conduisait parfois à l’annulation des décisions de première instance des bâtonniers.
Elle avait néanmoins l’intérêt de privilégier le préalable de conciliation en empêchant la saisine directe du bâtonnier en arbitrage, ce qui est indiscutablement une bonne chose, puisque, dans ce domaine, la conciliation est extrêmement efficace. Certains grands barreaux, notamment Paris et Lyon, tiennent des statistiques qui montrent que ce préalable permet de concilier jusqu’à 75 % des litiges qui leur sont soumis.
Cependant, par deux arrêts du 8 mars 2023, à la surprise générale, la Cour de cassation a jugé, en prenant le contre-pied de la jurisprudence constante des cours d’appel, que la tentative préalable de conciliation est facultative. La Première chambre civile de la Cour de cassation, à l’occasion d’un litige entre associés d’une SCP, pour le premier arrêt[[1]] et dans un litige de collaboration pour le second[[2]], a estimé que : « Si ces dispositions [art. 21 de la loi du 31 déc. 1971 et les art. 142, 179-1 et 179-4 du décret du 27 nov. 1991] prévoient une conciliation préalable à l'arbitrage du bâtonnier, elles n'instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir. »
Cette décision est très surprenante à plusieurs titres. Tout d’abord les conclusions de l’avocat général à l’éclairement dans le sens du maintien du caractère obligatoire de la conciliation et de l’irrecevabilité. Par ailleurs cette décision s’inscrit à l’inverse du mouvement général du droit en faveur des modes alternatifs de règlement des litiges.
Cette tendance s’est notamment illustrée, dès 2003, par la reconnaissance de la validité des clauses obligeant les parties à tenter une conciliation avant de saisir le juge « dont la mise en œuvre suspend jusqu'à son issue le cours de la prescription »[[3]] . Cette clause constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge.
Certaines réglementations professionnelles imposent une conciliation conventionnelle même en l’absence de toute stipulation contractuelle. Ainsi de l’article 25 du Code de déontologie des architectes prévoyant que « tout litige entre architectes concernant l’exercice de la profession doit être soumis au conseil régional de l’Ordre aux fins de conciliation, avant la saisine de la juridiction compétente ».
Cette tendance est également illustrée par l’article 750-1 du Code de procédure civile. Cet article rend obligatoire la tentative de conciliation ou de médiation pour toute procédure tendant au paiement d’une somme inférieure à 5.000 € et dans certaines actions particulières comme le bornage, le respect des distances pour les plantations, le curage des fossés, les servitudes, etc.
Cette solution, qui consiste à rendre obligatoire le recours au MARD avant toute saisine du juge, à peine d’irrecevabilité, ne constitue pas, selon la Cour européenne des droits de l’homme une entrave substantielle au droit d'accès direct au juge « […] si par ailleurs le processus amiable suspend le cours de la prescription et qu'en cas d'échec, les parties disposent d'une possibilité de saisir le juge compétent »[[4]](CEDH, sect. 1, 26 mars 2015, n° 11239/11).
Enfin, ces arrêts ont pour effet de déstabiliser en pratique la conciliation du bâtonnier alors qu’elle produit des résultats très satisfaisants.
Dans ce contexte, la commission SPA du CB s’est fixé comme objectif de proposer aux pouvoirs publics une modification du décret du 27 novembre 1991, afin d’éviter les conséquences négatives des arrêts du 8 mars 2023 et de restaurer le caractère obligatoire la conciliation.
Après de nombreux débats, puisque ce texte est venu devant quatre assemblées successives du conseil national des barreaux, il a été adopté par l’assemblée des 7 et 8 décembres 2023, et porte sur la modification de deux articles du décret, l’article 179-1 et l’article 179- 5 :
Projet d’article 179-1 nouveau du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :
« En cas de différend entre avocats appartenant à un même barreau à l’occasion de leur exercice professionnel, le bâtonnier est saisi par l’une ou l’autre des parties.
« Le bâtonnier peut ordonner une tentative de conciliation même dans le cas où une mesure d’urgence est sollicitée par l’une ou l’autre des parties sur le fondement des articles 148 et 179-4 du présent décret. Dans ce cas, il désigne dans les quinze jours de sa saisine un ou plusieurs conciliateurs parmi les membres ou anciens membres du Conseil de l’Ordre, les anciens bâtonniers de l'ordre, les anciens vice-bâtonniers de l’ordre, les anciens membres du conseil de l'ordre, ainsi que les anciens bâtonniers, vice-bâtonniers et anciens membres du conseil de l'ordre honoraires inscrits sur une liste qu'il dresse chaque année après délibération du conseil de l'ordre. Cette désignation est notifiée par tous moyens aux parties à la diligence du bâtonnier.
« Lorsqu’elle est ordonnée par le bâtonnier, la tentative de conciliation oblige les parties à rencontrer le conciliateur afin de les informer de l'objet et du déroulement de la mesure de conciliation.
« Le ou les conciliateurs ont pour mission de convoquer les parties, de les entendre et de les inviter à se concilier. La conciliation ne peut durer plus de deux mois à compter de la première convocation, sauf prorogation, à la demande conjointe des parties, ordonnée par le bâtonnier pour la durée qu’il fixe qui ne peut excéder trois mois. Elle prend fin soit par la conclusion d’un accord, soit à l’initiative du ou des conciliateurs, soit à la demande de l’une ou l’autre des parties, soit au terme du délai fixé si aucun accord n’est intervenu.
« L’accord est constaté dans un procès-verbal signé par les parties. En cas d’échec de la tentative de conciliation, il en est dressé procès-verbal par le ou les conciliateurs.
Ce procès-verbal est notifié par tous moyens aux parties à la diligence du bâtonnier.
« Les constatations du ou des conciliateurs et les déclarations et écrits qu’ils recueillent ne peuvent être ni produits ni invoqués dans la suite de la procédure sans l’accord des parties, ni en tout état de cause dans le cadre d’une autre instance,
« Les demandes additionnelles ou reconventionnelles formulées dans un litige qui a été soumis à conciliation sont recevables devant le bâtonnier si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
« Le ou les conciliateurs ne peuvent pas être délégués par le bâtonnier pour arbitrer la même affaire. »
2. Projet d’article 179-5 nouveau du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :
« Le bâtonnier rend sa décision dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine.
Si la nature ou la complexité du différend le justifie, ce délai peut être prorogé de quatre mois par décision motivée, notifiée aux parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
« Lorsque le bâtonnier n’a pas pris de décision dans le délai fixé, chacune des parties peut saisir la cour d’appel dans le mois qui suit l’expiration de ce délai.
« Si une tentative de conciliation a été ordonnée, le délai initial de quatre mois prévus par le présent article est interrompu. Le délai court à compter de la notification du procès-verbal qui constate l’échec de la conciliation ».
Comme pour le procès-verbal de retrait (voir notre autre article à ce sujet), la nouvelle mandature élue pour les années 2024 à 2026 au Conseil national des barreaux est donc désormais en charge de la finalisation de ces travaux. Gageons que le décret sera rapidement modifié et que la conciliation du bâtonnier retrouve bientôt des couleurs.
En attendant, on ne peut qu’inviter les confrères à continuer d’utiliser la procédure de conciliation par le bâtonnier, laquelle a montré et continue de montrer une remarquable efficacité dans le règlement des litiges entre avocats.
Le décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 prévoit également, en son article 179-1 : « En cas de différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel et à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel les avocats intéressés sont inscrits est saisi par l'une ou l'autre des parties. »
Enfin, pour les litiges collaboration, c’est l’article 142 du décret du 27 novembre 1991 qui prévoit que : « Pour tout litige né à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail, à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel l'avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi … »
Ces trois textes sont assez sibyllins sur le caractère obligatoire de la conciliation préalable, mais la jurisprudence des cours d’appel, unanime, considérait la conciliation obligatoire, non seulement dans son principe, mais comme devant porter sur chacun des points ensuite soumis au bâtonnier au cours de l’arbitrage.
Cette jurisprudence rigoureuse aboutissait à l’irrecevabilité des demandes présentées devant le bâtonnier, et n’ayant pas été soumise préalablement à la conciliation, et conduisait parfois à l’annulation des décisions de première instance des bâtonniers.
Elle avait néanmoins l’intérêt de privilégier le préalable de conciliation en empêchant la saisine directe du bâtonnier en arbitrage, ce qui est indiscutablement une bonne chose, puisque, dans ce domaine, la conciliation est extrêmement efficace. Certains grands barreaux, notamment Paris et Lyon, tiennent des statistiques qui montrent que ce préalable permet de concilier jusqu’à 75 % des litiges qui leur sont soumis.
Cependant, par deux arrêts du 8 mars 2023, à la surprise générale, la Cour de cassation a jugé, en prenant le contre-pied de la jurisprudence constante des cours d’appel, que la tentative préalable de conciliation est facultative. La Première chambre civile de la Cour de cassation, à l’occasion d’un litige entre associés d’une SCP, pour le premier arrêt[[1]] et dans un litige de collaboration pour le second[[2]], a estimé que : « Si ces dispositions [art. 21 de la loi du 31 déc. 1971 et les art. 142, 179-1 et 179-4 du décret du 27 nov. 1991] prévoient une conciliation préalable à l'arbitrage du bâtonnier, elles n'instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir. »
Cette décision est très surprenante à plusieurs titres. Tout d’abord les conclusions de l’avocat général à l’éclairement dans le sens du maintien du caractère obligatoire de la conciliation et de l’irrecevabilité. Par ailleurs cette décision s’inscrit à l’inverse du mouvement général du droit en faveur des modes alternatifs de règlement des litiges.
Cette tendance s’est notamment illustrée, dès 2003, par la reconnaissance de la validité des clauses obligeant les parties à tenter une conciliation avant de saisir le juge « dont la mise en œuvre suspend jusqu'à son issue le cours de la prescription »[[3]] . Cette clause constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge.
Certaines réglementations professionnelles imposent une conciliation conventionnelle même en l’absence de toute stipulation contractuelle. Ainsi de l’article 25 du Code de déontologie des architectes prévoyant que « tout litige entre architectes concernant l’exercice de la profession doit être soumis au conseil régional de l’Ordre aux fins de conciliation, avant la saisine de la juridiction compétente ».
Cette tendance est également illustrée par l’article 750-1 du Code de procédure civile. Cet article rend obligatoire la tentative de conciliation ou de médiation pour toute procédure tendant au paiement d’une somme inférieure à 5.000 € et dans certaines actions particulières comme le bornage, le respect des distances pour les plantations, le curage des fossés, les servitudes, etc.
Cette solution, qui consiste à rendre obligatoire le recours au MARD avant toute saisine du juge, à peine d’irrecevabilité, ne constitue pas, selon la Cour européenne des droits de l’homme une entrave substantielle au droit d'accès direct au juge « […] si par ailleurs le processus amiable suspend le cours de la prescription et qu'en cas d'échec, les parties disposent d'une possibilité de saisir le juge compétent »[[4]](CEDH, sect. 1, 26 mars 2015, n° 11239/11).
Enfin, ces arrêts ont pour effet de déstabiliser en pratique la conciliation du bâtonnier alors qu’elle produit des résultats très satisfaisants.
Dans ce contexte, la commission SPA du CB s’est fixé comme objectif de proposer aux pouvoirs publics une modification du décret du 27 novembre 1991, afin d’éviter les conséquences négatives des arrêts du 8 mars 2023 et de restaurer le caractère obligatoire la conciliation.
Après de nombreux débats, puisque ce texte est venu devant quatre assemblées successives du conseil national des barreaux, il a été adopté par l’assemblée des 7 et 8 décembres 2023, et porte sur la modification de deux articles du décret, l’article 179-1 et l’article 179- 5 :
Projet d’article 179-1 nouveau du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :
« En cas de différend entre avocats appartenant à un même barreau à l’occasion de leur exercice professionnel, le bâtonnier est saisi par l’une ou l’autre des parties.
« Le bâtonnier peut ordonner une tentative de conciliation même dans le cas où une mesure d’urgence est sollicitée par l’une ou l’autre des parties sur le fondement des articles 148 et 179-4 du présent décret. Dans ce cas, il désigne dans les quinze jours de sa saisine un ou plusieurs conciliateurs parmi les membres ou anciens membres du Conseil de l’Ordre, les anciens bâtonniers de l'ordre, les anciens vice-bâtonniers de l’ordre, les anciens membres du conseil de l'ordre, ainsi que les anciens bâtonniers, vice-bâtonniers et anciens membres du conseil de l'ordre honoraires inscrits sur une liste qu'il dresse chaque année après délibération du conseil de l'ordre. Cette désignation est notifiée par tous moyens aux parties à la diligence du bâtonnier.
« Lorsqu’elle est ordonnée par le bâtonnier, la tentative de conciliation oblige les parties à rencontrer le conciliateur afin de les informer de l'objet et du déroulement de la mesure de conciliation.
« Le ou les conciliateurs ont pour mission de convoquer les parties, de les entendre et de les inviter à se concilier. La conciliation ne peut durer plus de deux mois à compter de la première convocation, sauf prorogation, à la demande conjointe des parties, ordonnée par le bâtonnier pour la durée qu’il fixe qui ne peut excéder trois mois. Elle prend fin soit par la conclusion d’un accord, soit à l’initiative du ou des conciliateurs, soit à la demande de l’une ou l’autre des parties, soit au terme du délai fixé si aucun accord n’est intervenu.
« L’accord est constaté dans un procès-verbal signé par les parties. En cas d’échec de la tentative de conciliation, il en est dressé procès-verbal par le ou les conciliateurs.
Ce procès-verbal est notifié par tous moyens aux parties à la diligence du bâtonnier.
« Les constatations du ou des conciliateurs et les déclarations et écrits qu’ils recueillent ne peuvent être ni produits ni invoqués dans la suite de la procédure sans l’accord des parties, ni en tout état de cause dans le cadre d’une autre instance,
« Les demandes additionnelles ou reconventionnelles formulées dans un litige qui a été soumis à conciliation sont recevables devant le bâtonnier si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
« Le ou les conciliateurs ne peuvent pas être délégués par le bâtonnier pour arbitrer la même affaire. »
2. Projet d’article 179-5 nouveau du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :
« Le bâtonnier rend sa décision dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine.
Si la nature ou la complexité du différend le justifie, ce délai peut être prorogé de quatre mois par décision motivée, notifiée aux parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
« Lorsque le bâtonnier n’a pas pris de décision dans le délai fixé, chacune des parties peut saisir la cour d’appel dans le mois qui suit l’expiration de ce délai.
« Si une tentative de conciliation a été ordonnée, le délai initial de quatre mois prévus par le présent article est interrompu. Le délai court à compter de la notification du procès-verbal qui constate l’échec de la conciliation ».
Comme pour le procès-verbal de retrait (voir notre autre article à ce sujet), la nouvelle mandature élue pour les années 2024 à 2026 au Conseil national des barreaux est donc désormais en charge de la finalisation de ces travaux. Gageons que le décret sera rapidement modifié et que la conciliation du bâtonnier retrouve bientôt des couleurs.
En attendant, on ne peut qu’inviter les confrères à continuer d’utiliser la procédure de conciliation par le bâtonnier, laquelle a montré et continue de montrer une remarquable efficacité dans le règlement des litiges entre avocats.
[[1]] Cass. civ. 1re, 8 mars 2023, n° 21-19.620.
[[2]] Cass. civ. 1re, 8 mars 2023, n° 22-10.679.
[[3]] Cass. ch. Mixte, 14 févr. 2003, no 00-19.423 : « Mais attendu qu'il résulte des articles 122 et 124 du nouveau Code de procédure civile que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées ; que, licite, la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en oeuvre suspend jusqu'à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent »
[[4]] FRICERO (N.), « Obligation de tenter un règlement amiable avant toute saisine du juge », Procédures n° 5, mai 2015, comm. 159.