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La nouvelle procédure de césure du procès


Rédigé par Mathusa Ranjanakumar le Mercredi 21 Février 2024

Depuis le 1er novembre 2023, deux nouvelles procédures de règlement amiable des litiges ont été introduites dans le code de procédure civile : l'audience de règlement amiable (ARA) et la césure du procès civil (807-1 à 807-3 du code de procédure civile).



Ces deux mécanismes facultatifs viennent s’ajouter à l'arsenal de l’amiable, suite à la politique engagée depuis plusieurs années par le ministère de la Justice pour favoriser le recours à des modes de résolution des litiges alternatifs, et, plus récemment,  à faire de ces mécanismes une partie intégrante de l’office du juge. Telle que présentée par le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, la césure consiste à « faire trancher par le juge la question de droit, et, une fois cette question tranchée, d’inciter les parties à s’entendre sur les conséquences ». La procédure repose sur l’idée de distinguer ce qui relève du contentieux et ce qui relève de l’amiable. Partant de ce point, lors de son discours de présentation du 5 janvier 2023, le garde des Sceaux avait pris pour illustrer le dispositif de la césure, un procès en responsabilité à l’occasion duquel, la césure permettrait au juge de statuer sur la responsabilité et de laisser aux parties la liberté de trouver un accord amiable sur le volet indemnitaire.

La création de la césure du procès civil, qui n’est pas en soit un mode amiable de résolution des litiges mais plutôt un mécanisme de séquençage du traitement du litige, atteste de la volonté du législateur de repenser l’organisation judiciaire en recherchant le mode le plus adapté aux besoins du justiciable.

Ainsi, il est désormais possible pour les parties de demander, à tout moment, au juge de la mise en état, la clôture partielle de l’instruction et si la demande est acceptée, le litige sera renvoyé devant le tribunal qui ne statuera au fond que sur la/les prétentions déterminée(s). Quant aux prétentions restantes qui n’ont pas été envoyées et jugées par les juges du fond, elles pourront faire l’objet d’une médiation ou d’une conciliation de justice.

1. Les conditions de mise en œuvre de la césure du procès civil

Les matières concernées. Les dispositions relatives à la césure sont insérées dans la section relative à la clôture de l’instruction ; ce qui signifie que la césure du procès civil n’est applicable que dans le cadre d’une procédure écrite ordinaire avec représentation obligatoire.

L’initiative de la césure. La césure du procès est à l'initiative de l'ensemble des parties constituées et ce, à tout moment de la mise en état.

Le dépeçage des prétentions. Les parties doivent s’accorder, ensemble, sur l’identification des prétentions dont elles sollicitent le jugement partiel. Cela n’empêche pas, en pratique, qu’une discussion ait lieu entre le juge et les avocats concernant le séquencement des prétentions. Dès lors, la césure du procès n’est possible qu’en fonction de la séparabilité des prétentions de sorte que le jugement partiel puisse être totalement indépendant des prétentions restantes.


2. L’ordonnance de clôture partiel

La clôture partielle. L’originalité du dispositif tient au fait que la clôture est demandée par les parties et ce sans que l’affaire soit totalement en état d’état d’être jugé. Le juge va alors ordonner la clôture partielle de l’instruction. Pour ce faire, il annexe à sa décision l’acte contresigné des avocats rappelant les prétentions déterminées par les parties et renvoyer l’affaire pour qu’ils en soient jugés (article 807-1 al 3).

Le recours contre l’ordonnance de clôture partielle. L’ordonnance de clôture partielle prévue à l’article 807-1 est une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours.

La révocation de l’ordonnance de clôture partielle. L’ordonnance de clôture partielle aux fins de césure peut toujours faire l’objet de la révocation de droit commun prévue pour les ordonnances de clôtures, à savoir l’article 803 du code de procédure civile.

Le rejet de la demande d’ouverture d’une césure du procès. Si la demande est rejetée, l’instruction du dossier suit son cours devant le juge chargé de la mise en état.


3. Le jugement partiel

Le jugement partiel. La formation de jugement statue sur les seules prétentions déterminées par les parties dans l’acte de procédure contresigné par les avocats des parties.

Autorité de la chose jugée. Si le juge du fond fait droit à la prétention du demandeur, le jugement partiel a autorité de la chose jugée. En revanche, si le juge rejette la demande, les parties sont renvoyées à la mise en état pour la partie du litige qui n’a pas été tranchée.

Le recours contre le jugement partiel. Le décret du 29 juillet 2023 a apporté des modifications à l'article 544 du Code de procédure civile pour inclure les jugements partiels rendus dans le cadre d’une césure du procès, dans la liste des décisions susceptibles d’appel immédiat selon la procédure à bref délai au sens de l’article 905 du même code.


4. Critiques et craintes

Un mécanisme complexe sur le plan procédural. Des craintes relatives à la complexification du contentieux sur le plan procédural existent. Il convient de rappeler sur ce point la décision rendue par la CEDH le 9 juin 2022, dans l’affaire Xavier Lucas c. France, sanctionnant la France pour son formalisme procédural excessif qui peut porter atteinte au principe général de l’accès à la justice. Ainsi, les règles mises en place dans le cadre d’une résolution amiable ne doivent pas sombrer dans un formalisme excessif en générant un double contentieux, au lieu d’apporter une solution efficace et rapide comme souhaité.

Le séquencement des prétentions. La séparabilité entre les prétentions est plus complexe qu’elle n’y parait. Pour reprendre l’exemple de l’action en responsabilité :
  • Premièrement : affirmer que la question de l’évaluation du préjudice pourrait être traitée amiablement, relève sans doute de la fiction. En effet, rien que le contentieux des dommages corporels, qui est une matière très technique, fait l’objet d’une jurisprudence fournie et de débats doctrinaux.
  • Deuxièmement, le « principe de la responsabilité » reposant sur la caractérisation du préjudice, la séparabilité entre les deux notions semble également complexe.
  • Troisièmement et très souvent, dans une action en responsabilité, c’est très souvent l’évaluation des préjudices qui fait le plus débat.
 
Le délai de péremption. La scission de l’affaire en deux procédures n’est pas une suspension de l’instance mais une « mise en sommeil ». En effet, les prétentions restées au stade de la mise en état ne peuvent reprendre que lorsque le jugement partiel est devenu définitif. Or, le temps d’attente de cette mise en état est indéterminé et le délai de péremption continue à courir. En d’autres termes, si les parties ne se montrent pas diligentes au cours de la mise en état, elles peuvent être menacées par la péremption d’instance. Cependant, il est de jurisprudence constante que lorsque deux instances sont pendantes, les diligences faites dans l'une n'interrompent pas nécessairement la péremption de l'autre (Cass. civ. 2, 13-01-1988, n° 86-15922, publié au bulletin, Cassation).

Il serait sans doute prudent de solliciter, en plus de la clôture partielle, un sursis à statuer au juge de la mise en état afin de suspendre l’instance et de surcroit le délai de péremption (art 377 du code de procédure civile).
 


Décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire - https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047902871

Code de procédure civile, sous-section 2 : la césure du procès (articles 807-1 à 807-3) : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070716/LEGISCTA000047906066/
 








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