En avril 2018, nous avions commenté sur Parabellum l’arrêt du conseil d’État du 8 décembre 2017 (CE 8° et 3° ch. 8 déc. 2017 n°409 429) , lequel a consacré le principe suivant lequel le régime fiscal de la rémunération d’exercice des associés professionnels libéraux exerçant en société par actions est celui des bénéfices non commerciaux. Cette décision faisait suite à un autre arrêt de la même juridiction du 16 octobre 2013 (CE 16 oct. 2013 n° 339822).
Cette jurisprudence contredit la doctrine administrative résultant des réponses ministérielles Cousin (BOI-RSA-GER-10-10-20 § 140) et Lamour (non reprise au BOFIP) et interroge très fortement au plan pratique : faudra-t-il désormais que chaque associé exerçant au sein d’une SELAS ou d’une SELAFA établisse chaque mois une note d’honoraires, déclare la TVA y afférente, ouvre un compte professionnel, tienne une comptabilité recettes dépenses, s’inscrive à une association agréée, et enfin établisse une déclaration 2035 au titre des revenus perçus via la société ?
Si en définitive la plupart des fiscalistes s’accordent pour considérer que la facturation et la TVA ne seront pas nécessaires, les autres sujétions administratives entraînées par cette qualification semblent bien devoir être maintenues, sauf à ce que le texte à intervenir en prévoit expressément la dispense.
Quelles sont les règles applicables ?
Il n’y a pas en cette matière de texte fiscal clair. Mais l’article L.311-3, 11° et 23° du Code de la sécurité sociale prévoit expressément que les rémunérations des mandataires sociaux de sociétés par actions, SA, SAS, SELAS et ce SELAFA sont soumises au régime général de la sécurité sociale. Pas de BNC dans les textes donc : le dirigeant de société par actions est un mandataire social salarié, indépendamment de toute subordination.
Ce sujet a un effet bien entendu majeur en matière de charges sociales, mais également en matière de traitement social des dividendes, puisque depuis 2009, les dividendes sont assujettis au régime TNS, dès lors que le dirigeant est lui-même assujetti à ce même régime, ce qui signifie que cette opération n’a d’intérêt que pour ceux qui sont assujettis au régime des traitements et salaires.
Les décisions précitées du Conseil d’État apparaissent donc comme contra legem. À notre sens, le fait que ces textes soient issus du Code de la sécurité sociale et que le Conseil d’État statue en matière fiscale ne change rien. Cette jurisprudence a pour effet de distinguer deux rémunérations du dirigeant de société par actions : la rémunération du mandat social, qui seule serait gouvernée par l’article L.311-3 CSS précité, et une rémunération dite « technique », qui, « à défaut de subordination », échapperait à ce texte et devrait être qualifiée de BNC.
Le problème, selon nous, est double. D’une part, le texte précité du Code de la sécurité sociale ne distingue en aucun cas entre la rémunération du mandat social et celle des « fonctions techniques » ; d’autre part, cette distinction ne concerne que les libéraux. Or s’il est vrai qu’un avocat, ou un directeur de laboratoire, comme dans l’espèce de 2017, passe la majorité de son temps à exercer son métier, plutôt que de diriger la structure au plan administratif, cela est tout aussi vrai des dirigeants de PME de droit commun ! Or, personne ne s’interroge sur la nature de la « rémunération technique » du président de la SAS exploitant une boucherie charcuterie ou une agence de communication...
Y a-t-il de ce point de vue une discrimination à l’égard des libéraux ? Discrimination certes involontaire puisqu’elle résulte à l’origine du comportement d’un directeur de laboratoire, et que l’arrêt de 2017 du conseil d’État a été rendu dans l’intérêt de ce dernier puisque la requalification en BNC de ses rémunérations lui permet au final de déduire ses cotisations Madelin.
Toujours est-il, que la Direction de la Législation Fiscale (DLF) souhaite désormais légiférer, dans le sens de la jurisprudence du conseil d’État. Il s’agirait donc de graver dans la loi la double nature de la rémunération, traitements et salaires d’une part, BNC d’autre part, avec comme pivot, l’existence ou non d’une subordination.
Ce critère est choisi par la DLF puisque c’est celui utilisé par le Conseil d’État. Il est toutefois assez déroutant que la nature des rémunérations des professionnels libéraux soit définie par la notion de subordination, alors que le principe d’indépendance est la colonne vertébrale de nos professions, dont les membres ne connaissent pas la situation de subordination ! Quelle est donc cette alternative qui n’a qu’une seule branche ?
L’idée de la DLF consiste cependant à permettre aux professionnels de choisir entre les deux régimes TS et BNC. Elle propose donc la création d’un article 93 quinquies dans le code général des impôts, lequel aurait pour objet d’accorder une option aux « associés de société d’exercice libéral à forme anonyme, par actions simplifiées, à responsabilité limitée ou en commandite par actions » leur permettant d’opter pour le régime des traitements et salaires, même en l’absence de subordination.
Les discussions sont en cours avec les représentants des professions concernées, qui demandent plutôt l’extension du régime de l’article 62 du Code général des impôts, et rappellent que le régime des traitements et salaires excluent la déductibilité des cotisations Madelin, alors que ces régimes complémentaires ne sont pas un luxe pour les libéraux dont le régime obligatoire est particulièrement peu généreux en matière de prestations, notamment pendant les 90 premiers jours d’arrêt.
Ils demandent également la création législative de la notion d’Associé Professionnel Exerçant (APE), qui permettrait de donner un véritable statut à l’associé exerçant, cette notion résultant indirectement de la lecture de la loi du 31 décembre 1990 et de la loi du 6 août 2015, et est donc tout à fait spécifique à l’activité libérale.
A suivre …