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La contribution pour la justice économique : un nouveau dispositif en expérimentation dès le 1ᵉʳ janvier 2025


Rédigé par Mathilde Robert et Maxime Andriamboavonjy le Jeudi 30 Janvier 2025

La contribution pour la justice économique, prévue par la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 et mise en œuvre par le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024, est entrée en vigueur en phase d’expérimentation le 1ᵉʳ janvier 2025. Cette nouvelle taxe est créée dans le cadre de la réforme, plus vaste, des « Tribunaux des Activités Economiques » (TAE), nouvelle dénomination donnée à douze des plus importants tribunaux de commerce français (Avignon, Auxerre, Le Havre, Le Mans, Limoges, Lyon, Marseille, Nancy, Nanterre, Paris, Saint-Brieuc et Versailles), qui serviront de cadre à cette expérimentation.



La contribution pour la justice économique, prévue par la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 et mise en œuvre par le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024, est entrée en vigueur en phase d’expérimentation le 1ᵉʳ janvier 2025. Cette nouvelle taxe est créée dans le cadre de la réforme, plus vaste, des « Tribunaux des Activités Economiques » (TAE), nouvelle dénomination donnée à douze des plus importants tribunaux de commerce français (Avignon, Auxerre, Le Havre, Le Mans, Limoges, Lyon, Marseille, Nancy, Nanterre, Paris, Saint-Brieuc et Versailles), qui serviront de cadre à cette expérimentation.

La contribution pour la justice économique est désormais à la charge de la partie demanderesse pour chaque instance introduite devant un TAE, lorsque la valeur totale des prétentions qui y sont contenues est supérieure à un montant de 50 000 euros. À noter que cette contribution ne s’applique qu’aux personnes (morales ou physiques, précise le texte) employant plus de 250 salariés et réalisant un certain niveau de chiffre d’affaires :
  • Les entreprises réalisant un chiffre d'affaires annuel moyen (sur les trois dernières années) supérieur à 50 M€ et inférieur ou égal à 1 500 M€ paieront une contribution de 3 % du montant de leurs prétentions dans la limite de 50.000 euros ;
 
  • Celles réalisant un chiffre d'affaires annuel moyen supérieur à 1 500 M€ paieront une contribution de 5% du montant de leurs prétentions, dans la limite de 100.000 euros.
 
Une expérimentation ciblée dans certaines juridictions

Le décret n° 2024-1225 prévoit que ce dispositif sera expérimenté afin d’évaluer son impact et d’ajuster, si besoin, les barèmes et modalités de calcul.

Un rapport d’évaluation devra être transmis au Parlement chaque année, afin de mesurer l’efficacité et la pertinence du dispositif.

Si l’expérimentation s’avère concluante, la contribution pour la justice économique pourrait être étendue à l’ensemble du territoire national d’ici la fin de la programmation 2023-2027. Le ministère de la Justice entend ainsi « responsabiliser » financièrement les grands acteurs économiques, censés solliciter les tribunaux de manière répétée, tout en maintenant un accès au juge pour les petites structures et les justiciables aux ressources plus limitées.

Or, même à le supposer légitime et non contraire à des principes fondamentaux tels que la gratuité de la justice, le droit d’accès au juge, le principe d’égalité devant la loi[[1]] …, il est loin d’être certain que cet objectif puisse être rempli par cette réforme.

 
Des incertitudes d’application

La loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 ainsi que son décret d’application – manifestement pris dans la précipitation, puisque le décret d’application date du 30 décembre 2024, c’est-à-dire l’avant-veille de l’entrée en vigueur de la loi – sont parcellaires, pour ne pas dire bâclées.

Les incertitudes quant aux modalités de mise en œuvre de cette expérimentation, qui est tout de même censée durer 4 ans, sont multiples.

En premier lieu, il parait évident que la détermination du franchissement des seuils pour les justiciables assujettis, et le calcul de la contribution, qui reviendront donc aux greffiers des tribunaux de commerce, générera des contestations et un important contentieux.

Or, la loi de programmation (article 27) se contente d’indiquer à ce titre qu’en cas de contestation, « le président de la juridiction ou le magistrat délégué à cet effet statue par ordonnance » ; aucune procédure spécifique pour le règlement des difficultés et contestations liées à la fixation de cette contribution n’étant donc fixé.

Toutefois, l'article 8 du décret dispose que la contribution est liquidée selon les modalités prévues aux chapitres II et III du titre XVIII du livre Iᵉʳ du code de procédure civile. Ces chapitres concernent respectivement la vérification des dépens et le recours contre la vérification. Faut-il comprendre que la partie qui conteste le montant de la contribution, voire le principe même de son assujettissement à cette contribution, devra attendre la toute fin de la procédure pour faire valoir ses droits ?

Autre exemple : la réforme n’a pas du tout pris en compte les requêtes en injonction de payer. Il n’est pas explicitement indiqué si elles sont ou non comprises dans la qualification d’« instance » utilisée par l’article 27 de la loi d'orientation et de programmation, et donc dans le champ d’application de l’expérimentation.

La procédure d’injonction de payer ayant été créée pour le recouvrement rapide de créances non contestées, afin de réduire les délais de paiement inter-entreprises, sa soumission au calcul et au règlement préalable d’une taxe fixée par le greffe sur remise d’éléments justificatifs, impliquerait nécessairement des délais de traitement supplémentaires, ce qui seraient totalement contraires à l’esprit de l’institution, sans compter qu’il apparaît particulièrement choquant de contraindre un justiciable faisant état d’une créance liquide, certaine, exigible et non contestée à s’acquitter d’une taxe pour avoir le droit de la recouvrer !

Cette difficulté va cependant rester plus théorique que pratique car, dans les faits, les juges rejettent généralement les requêtes en injonction de payer lorsque le montant des demandes excède 20.000 voire 30.000 euros. Les praticiens ne conseillent donc pas le recours à l’injonction de payer au-delà de ces sommes. La plupart des requêtes qui seront déposées n’atteindront donc pas le seuil de « prétentions » nécessaire à la mise en œuvre de la contribution pour la justice économique.

Il n’en demeure pas moins que cette difficulté est révélatrice des carences des textes qui n’ont même pas pris en compte les spécificités de certaines procédures applicables devant les tribunaux de commerce.

 
Une réforme qui suscite des débats

La contribution pour la justice économique est censée financer les TAE. Il est possible de douter de la pertinence de cette contribution – surtout à hauteur des montants prévus – lorsqu’on sait que les juges consulaires sont bénévoles et que les greffiers des tribunaux de commerce sont des professionnels libéraux, parmi les mieux rémunérés en France. En réalité, l’objet de la contribution pour la justice économique est aussi vague que sa dénomination.

Mais surtout cette réforme pose de nombreuses questions tant sur le plan des principes auxquels elle porte atteinte que des conséquences dommageables qu’elle pourrait engendrer.

De prime abord, cette réforme semble limiter cette contribution aux justiciables remplissant certains prérequis financiers.
Une atteinte est donc portée au principe de gratuité de la justice, mais ce n’est pas bien grave puisque les gros sont censés payer pour les petits…

Or, en pratique, ce n’est pas forcément ce qui va se produire.

En effet, l’article 27 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 précise que la contribution pour la justice économique devra se voir appliquer les dispositions relatives aux dépens et donc, par conséquent, elle devra en principe être remboursée par la partie perdante, quand bien même cette dernière n’atteindrait pas les seuils pour être soumise à la contribution.

Bien sûr, le juge a la possibilité par décision motivée, de mettre la totalité ou une fraction des dépens à la charge d'une autre partie (article 696 du CPC), mais comment justifier que la partie qui gagne son procès se voit imposer une telle charge ? Si les juges ne mettent pas en œuvre cette possibilité (par refus ou tout simplement par silence), ce sera donc à la PME ou à l’artisan qui perdra son procès contre une société redevable de la taxe, qu’il reviendra de supporter la charge finale de cette nouvelle taxe qui peut atteindre, on le rappelle, la somme considérable de 100.000 euros par instance.

Par ailleurs, la réforme étant en phase expérimentale, celle-ci ne s’appliquera que dans les 12 TAE désignés, qui sont accessoirement les anciens tribunaux de commerce ayant la plus grande concentration de contentieux. Ce qui implique une inégalité juridico-territoriale et le développement futur d’un forum shopping national au travers des clauses contractuelles, et des options de compétence, puisqu’il parait évident que les justiciables chercheront à éviter autant que possible les TAE, pour ne pas avoir à s’acquitter de la contribution pour la justice économique applicable uniquement devant ces tribunaux. Ce qui devrait rediriger le flux du contentieux vers des tribunaux de commerce plus modestes n’ayant pas la quantité de personnel requis pour faire face à un tel afflux.

Les instances professionnelles, notamment le CNB, dans sa résolution du 17 janvier 2025, ont déjà exprimé leurs réserves quant à la pertinence du projet. Le Barreau de Paris a décidé, en ce sens, de former un recours contre le décret d’application du 30 décembre 2024 devant le Conseil d'État.

Affaire à suivre donc !

Décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 relatif à l'expérimentation de la contribution pour la justice économique
 
[[1]] Le Conseil constitutionnel a à ce stade écarté ces griefs au motif qu’il s’agit d’une loi d’expérimentation








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